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générale et centrale qui soit réelle a son siège et son organe dans le système nerveux. Ce système est le grand régulateur de l’économie organique ; il y maintient l’ordre, et dirige vers leur but toutes les opérations vitales. On a pu, dans le passé, rapporter l’unité à une cause une et créatrice ; aujourd’hui les progrès de la science permettent d’affirmer que l’unité n’est qu’une harmonie provenant des relations nouées entre les organes par le système nerveux. « Le moment n’était pas encore venu, dit M. Rouget, où l’on pouvait prouver que l’unité de l’organisme résulte uniquement des connexions établies par le centre nerveux céphalo-rachidien entre toutes les parties dont les nerfs ont dans ce centre leur origine ou leur terminaison[1]. » M. Virchow n’est pas de cet avis ; et il faut dire que nombre d’expériences concluantes faites par lui et par d’autres physiologistes lui donnent pleinement raison. Selon lui, le système nerveux est bien un tout dans lequel on peut distinguer une sorte de centre où aboutissent et d’où émanent un nombre incalculable de courans ; mais on ne saurait trouver dans ce centre l’unité qu’on poursuit, car on peut diviser la moelle en un certain nombre de segmens, dont chacun innerve certaines parties périphériques, et continue à les innerver après l’opération. Chaque section à travers la moelle crée donc un système indépendant, c’est-à-dire un nombre plus ou moins grand de centres. Il en est de même pour le cerveau. Chacun des départemens dans lesquels se divise vit de sa vie propre, et les milliards de petits élémens qu’il contient en font autant dans leur sphère infiniment restreinte. Nulle part dans l’économie totale il n’existe une véritable unité, pas même dans le fameux nœud vital de Flourens[2].

Voilà comment le physiologiste allemand réfute la doctrine qui fait résider l’unité organique dans le système nerveux. Mais M. Virchow est lui-même d’une école qui ne peut comprendre l’unité autrement que localisée quelque part. Lui aussi en cherche le siège, et croit l’avoir trouvé dans la cellule. A la question de savoir si c’est la cellule qui est l’individu ou si c’est l’être vivant, il ne croit pas pouvoir faire une réponse simple. « L’idée d’individu, dit-il, est devenue incertaine et multiple avec le développement de l’expérience. Si l’on ne peut se décider à distinguer les individus en individus collectifs et en individus simples, ce qui serait la meilleure manière de tourner la difficulté, il faut absolument rayer des branches organiques des sciences naturelles l’idée de l’individu, ou bien la considérer comme intimement liée à la cellule[3]. »

  1. Physiologie des actions réflexes (cours de 1862-63).
  2. Virchow. Pathologie cellulaire, ch. XV.
  3. Pathologie cellulaire.