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L’ÎLE DE CYPRE.

baisse, il est moins recherché au dehors. L’exportation n’est plus aujourd’hui que la sixième partie environ de ce qu’elle était au XVIIe siècle. D’après M. Lang, il est sorti de l’île, en 1871, près de 24,000 hectolitres de vin, destinés surtout à l’Égypte et à la Syrie ; selon lui, Cypre pourrait en produire aisément cinquante fois plus. Quant au coton, plus demandé sur les marchés de l’Europe pendant la guerre d’Amérique, la culture en avait repris alors quelque activité ; on n’en produit pourtant guère que trois mille balles au lieu de trente mille que l’on récoltait sous les Vénitiens. Le tabac de Cypre était jadis très recherché dans les pays voisins ; aujourd’hui, toujours par suite de surtaxes exorbitantes, l’île est loin d’en planter assez pour fournir à sa propre consommation. Les fines cultures maraîchères, autrefois aussi l’une des gloires de Cypre, sont presque abandonnées ; on se contente de semer quelques fèves et quelques pommes de terre, quelques concombres et quelques melons. Les herbes et les racines des champs entrent pour beaucoup dans la nourriture du paysan ; c’est le cresson, le pourpier, l’asperge et l’artichaut sauvages.

Pour tout dire d’un mot, M. Lang estime qu’un dixième tout au plus du sol de l’île est mis en valeur par la main de l’homme. Il faut déduire du total disponible les sommets des montagnes et les endroits où le roc affleure ; mais les terrains de ce genre n’occupent ici qu’une faible superficie, et il en est bien peu qui ne puissent admettre la végétation forestière. La population pourrait donc s’augmenter dans de fortes proportions, sans risquer de se trouver à l’étroit ou d’avoir à tirer sa subsistance du dehors. On n’en sait pas au juste le chiffre ; les évaluations varient entre 150,000 et 180,000 âmes. De ce nombre, un tiers à peine est musulman ; les deux autres tiers sont Grecs de langue et de religion. Il y a aussi une petite colonie de Maronites, un millier d’âmes environ, qui se sont établis ici au siècle dernier. Le dialecte des Grecs, leurs chants populaires, leurs traditions et leurs contes, présentent des particularités curieuses sur lesquelles l’attention a été déjà appelée par les publications de M. Sakellarios et Loukas[1] ; mais il reste encore beaucoup à faire pour tout recueillir et pour porter dans ces recherches toute l’exactitude et la critique qu’elles réclament.

On voudrait savoir à quel chiffre a pu s’élever, en d’autres temps, la population de l’île ; mais toute donnée précise nous manque à ce

  1. Sakellarios, Κυπριαϰά (Kupriaka), 3 vol. in-8o, Athènes, 1855,1868. — Loukas, Φιλολογιϰαὶ ἐπισϰέψεις τῶν ἐν τῷ βίῳ τῶν νεοτέρων Κυπρίων μνημείων τῶν ἀρχαίων. Athènes, 1874. Dans l’Annuaire de l’Association pour l’encouragement des études grecques en France (1875), M. d’Estournelles de Constant a donné une excellente analyse de ce dernier ouvrage.