Page:Revue des Deux Mondes - 1878 - tome 30.djvu/548

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
542
REVUE DES DEUX MONDES.

échelles du Levant et avec les principaux marchés de l’Occident. Elle exportait bien plus qu’elle n’importait. Une partie de ses bois de construction était mise en œuvre sur ses chantiers, où se lançaient beaucoup de navires ; le reste se plaçait au dehors. L’île continuait à fournir ces blés d’excellente qualité qui, du temps de Démosthène, contribuaient à nourrir le peuple de l’Attique. Mais en même temps elle exploitait des plantes que son sol n’avait pas produites autrefois. C’est vers cette époque que paraît s’être introduite ou tout au moins développée à Cypre la culture de la canne à sucre, importée d’Arabie. Cypre expédia bientôt des quantités considérables de sucre. Les procédés du raffinage n’avaient pas encore été inventés ; ce qu’on livrait, c’était une sorte de cassonade brune qui n’en était pas moins fort demandée. On n’avait point encore l’Amérique pour produire en abondance cette précieuse denrée, et les relations avec l’Égypte, qui cultivait aussi la canne, étaient irrégulières et difficiles.

Un peu plus tard, des marchands qui trafiquèrent avec la Perse apportèrent les graines du cotonnier ; cet arbre réussit aussi bien que l’avait fait le mûrier. Dans les terrains les plus fertiles et les mieux arrosés, on substitua le coton aux céréales ; les profits furent si beaux que cette plante y gagna le surnom d’herbe d’or. Nicosie devint célèbre par ses toiles de coton.

Les chevaliers de Saint-Jean étaient propriétaires à Cypre de grands biens ; ils y perfectionnèrent la qualité du vin par le choix des plants et par une fabrication plus soignée. Bientôt se répandit au loin la réputation de celui qu’ils récoltaient dans un de leurs domaines situé près de Paphos ; de là le nom de vin de la commanderie, sous lequel le vin de Cypre est devenu fameux en Europe. Ce fut à Venise surtout que l’on s’éprit du vin de Cypre ; aujourd’hui encore vous en boirez de fort bon, non-seulement dans les élégans cafés de la place Saint-Marc, mais encore dans plus d’un petit cabaret des lagunes, sous plus d’une tonnelle rustique, à l’embouchure de la Brenta.

Les Francs établis dans l’île auraient aimé à y retrouver tous les fruits de leur pays ; les moines surtout, dans les jardins de leurs riches abbayes, firent des tentatives d’acclimatation, qui ne réussirent pas toutes également. Poiriers et pommiers, pruniers et néfliers souffraient de la chaleur et dégénéraient ; mais les cerisiers, les abricotiers, les pêchers, les noyers donnaient des fruits excellens. C’était assez pour ne point se sentir dépaysé ; on avait d’ailleurs, comme compensation à ce qui manquait, les orangers, les citronniers et même la banane. Quant au palmier, qui avait dû passer la mer avec les Phéniciens, il n’est à Cypre comme en Syrie qu’un ornement ; le soleil n’y est pas assez chaud encore pour mûrir la