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beautés et toutes les délicatesses d’une langue qu’il a possédée dans la plus exacte et la plus parfaite pureté. » Ainsi parle l’auteur de l’Avertissement, c’est-à-dire le fils même du poète, le théatin Boursault, que nous retrouverons plus tard sur notre chemin.

Voilà deux années bien employées, si bien et si efficacement employées qu’au bout de ce noviciat le fugitif de Mussy-l’Évêque debute dans le monde des lettres parisiennes par une comédie en vers intitulée le Mort vivant. N’allez pas le juger avec trop de rigueur;

Surtout considérez, illustres seigneuries,
Comme l’auteur est jeune, — et c’est son premier pas.

Il a quinze ans, il a de l’esprit, de la verve, de la gaîté ; ne lui demandez pas autre chose. Soupçonne-t-on à quinze ans les secrets de la nature humaine? Il a lu les imbroglios que le théâtre de son temps a mis à la mode, il imite ce qu’il a sous les yeux, il s’inspire de Scarron ou de Thomas Corneille.

On confond trop souvent les périodes quand il s’agit du XVIIe siècle. Pour marquer avec précision dans quel milieu se développa l’esprit de Boursault, il faut absolument savoir quelle était vers 1653 la situation du théâtre et de la littérature courante. Un clerc pour quinze sous... J’imagine que le jeune clerc allait souvent au théâtre, non pour critiquer les défaillances d’un maître, mais au contraire pour applaudir son nom et sa voix, pour s’amuser des comédies nouvelles, pour assister à l’escrime du dialogue, pour apprendre cette langue française qu’on avait oublié de lui enseigner à Mussy-l’Évêque. A force de voir jouer des pièces de théâtre, il voulut en composer lui-même. Écouter, inventer, deux opérations fort différentes qui se confondent aisément chez l’écolier. Il arriva plus d’une fois à Boursault d’inventer le lendemain ce qu’il avait entendu la veille. Quel était donc en 1653 l’aspect général du domaine des lettres? Et, comme c’est de quinze à vingt-cinq ans que ses idées littéraires prirent l’essor, quels furent aux dix années suivantes, de 1653 à 1663, les œuvres le plus en vue, celles qui devaient le plus frapper un esprit ouvert à toutes les impressions du dehors?

En 1653, le nom qui domine tout c’est le nom de Corneille, de Corneille l’aîné comme disaient les contemporains, du grand Corneille comme dit l’histoire. C’est lui qui a créé le théâtre. Vingt années de succès l’ont mis hors de pair. Il a écrit des chefs-d’œuvre qui lui assurent l’immortalité. Si sa voix tombe aujourd’hui, son ardeur ne s’éteint pas. Sans cesse, d’une œuvre à l’autre, il essaie de renouveler son inspiration par la hardiesse et la variété des sujets. Il vient de faire représenter Don Sanche et Nicomède, il va donner Pertharite dont une seule situation contient en germe l’Andromaque