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L’ÎLE DE CYPRE.


I

L’île de Cypre[1] (Kύπρος chez les Grecs, Kibris chez les Turcs) est la plus éloignée vers l’Orient de toutes les îles de la Méditerranée. Elle en est, après la Sicile et la Sardaigne, la troisième par la grandeur. On en évalue la superficie à 900,000 hectares ; la Corse, qui vient après elle, en a 875,000. On peut donc se représenter Cypre comme ayant à peu près les dimensions de notre département insulaire.

L’île de Cypre est située dans cette espèce de poche profonde ou de vaste golfe que dessinent la côte méridionale de l’Asie-Mineure et la côte de Syrie ; le cap Saint-André, dernière pointe d’une haute langue de terre par laquelle l’île se termine au nord-est, regarde le sommet de l’angle aigu que tracent et que creusent, à leur rencontre, les deux rivages. Au nord, la Cilicie est à la même distance environ de Cypre que la Syrie à l’est et au sud-est ; mais la côte qui regarde l’Asie-Mineure est presque tout entière âpre et montueuse ; elle n’a que d’étroites bandes de terrain cultivable ou de courtes vallées, sans rades ni ports. C’est au contraire sur la côte orientale que s’ouvre la plus grande plaine de l’île ; dans ces parages, là même où la montagne domine la mer, elle y descend, presque partout, en pentes plus douces ou bien elle se borde d’une frange de sol uni et fertile ; là se trouvent les meilleurs mouillages, les plages dont l’accès est le plus facile et le moins dangereux. L’île avait sa façade, si l’on peut s’exprimer ainsi, tournée du côté de la Syrie ; c’est par là qu’elle prenait jour sur le continent voisin. Ses relations devaient donc être plus aisées et plus intimes avec la Syrie qu’avec l’Asie-Mineure ; elle était prédestinée à recevoir des cités syriennes ses premiers habitans, les premières semences de la civilisation. La principale ville maritime de l’île, c’est aujourd’hui Larnaca, qui touche aux ruines de l’antique Kition ; de ce point, on compte douze heures de bateau à vapeur jusqu’à Alexandrette, le meilleur port de toute la Syrie, et sept seulement jusqu’à Tripoli. Pour faire ce dernier trajet, une barque à voile ne met guère, quand elle a bon vent, plus de vingt-

  1. Nous croyons devoir retournera cette orthographe du nom de l’île, qui est l’ancienne orthographe française. Fénelon écrit toujours Cypre. Le traducteur de Dapper (Description exacte des îles de l’Archipel, in-folio Amsterdam, 1703) fait de même. C’est depuis la fin du siècle dernier qu’a prévalu la forme Chypre, qui n’a aucune raison d’être : elle ne reproduit même pas la prononciation italienne de ce nom, Tchipro. C’est Kypre que l’on devrait dire ; faute d’en revenir là, ce qui serait peut-être faire à l’usage une trop forte violence, nous désirons tout au moins nous en tenir à la forme qu’avaient adoptée nos classiques et qui est plus voisine, au moins pour l’œil, du terme grec.