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lors du démembrement de la monarchie danoise, de l’expulsion de l’Autriche du sein de la confédération germanique, de la mutilation de la France, et en dernier lieu lors du dépècement de l’empire ottoman. « Il n’y a plus d’Europe ! » s’écriait vers la fin de 1870 un homme d’état de l’ancienne école, et, dans les premiers jours de 1878, on était aussi bien près de croire qu’il n’y avait même plus de Grande-Bretagne. L’idéal rêvé par Cobden, le millenium de « quatre comtés, » semblait enfin se réaliser, et il n’a fallu rien moins que la monstrueuse paix de San-Stefano et l’entrée des Russes dans les faubourgs de Constantinople pour réveiller la vieille Angleterre, et ce qui restait encore de l’Europe, profondément bouleversée et déroutée. Le réveil fut bruyant, sans doute, on l’a même qualifié de « glorieux, » et on en a fait honneur à cette opinion publique qui finit toujours par retrouver sa voie, et qui, semblable à la lance d’Achille, sait porter remède aux blessures qu’elle fait. Il sera toutefois permis à l’observateur réfléchi de faire ses réserves quant aux aptitudes politiques des générations qui ont besoin d’avertissemens tels qu’Andrinople, Sinope ou San-Stefano pour s’apercevoir périodiquement d’un danger que les contemporains de Vergennes ont reconnu à des symptômes bien plus légers, et qu’un Montesquieu a su signaler avant tout symptôme par la seule intuition du génie, et peut-être bien la moralité de toute cette longue et lamentable histoire des variations du libéralisme en face du problème oriental se trouve-t-elle dans les paroles que le comte Derby a prononcées naguère au parlement. « Il y a deux ans, disait le noble lord, il aurait presque été dangereux pour un homme d’entrer dans un meeting public et d’exprimer ouvertement un doute sur la philanthropie désintéressée de la Russie. Maintenant on crie tout à fait le contraire, et je dois dire que la folie et la violence de ces deux agitations ne laissent pas beaucoup de choix entre elles. Si je pouvais, de cette place, m’adresser au peuple anglais, je me permettrais de lui demander comment il peut espérer d’avoir une politique étrangère, je ne dis pas prévoyante, mais seulement conséquente et intelligente, si en dix-huit mois on voit la grande majorité du pays demander deux choses directement contradictoires[1]


JULIAN KLACZKO.

  1. Discours du comte Derby à la chambre dès lords, 8 avril 1878.