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« dont tout champ fut un berceau de Liberté, toute grotte un tombeau de Gloire[1], » et Canning n’était pas certes le. seul parmi les hommes d’état de ce temps qui pouvait se rappeler d’avoir écrit une Ode à la Grèce, encore sur les bancs du collège. N’oublions pas du reste que l’opinion libérale sous la restauration, après le piteux avortement des révolutions d’Italie et d’Espagne, saluait pour la première fois une cause populaire près de triompher dans le Péloponèse, et que cette cause lui faisait de nombreux complices jusque dans le camp de ses adversaires. Chateaubriand constatait, non sans surprise que, par rapport à la Grèce, tous les partis en France se trouvaient unis ; que M. de Bonald y donnait la main à Benjamin Constant, et Béranger à l’abbé de Genoude. Les philologues d’Allemagne, encore sincères à cette époque, et dépourvus d’ambition sinon de malice, faisaient du cabotage libéral sous le pavillon de Canaris et de Miaoulis ; le vieux Voss, l’incomparable traducteur d’Homère, donnait sa modique pension en offrande à la patrie de Miltiade, et le plus conservateur parmi les savans et les politiques, le grand Niebuhr, que la révolution de juillet devait bientôt désespérer et jeter dans la tombe, regretta alors qu’on n’eût pas pris au mot le tsar et ses déclarations de désintéressement pour en finir une bonne fois avec les Turcs et fonder des états chrétiens indépendant en Orient. Il n’est pas jusqu’à l’Autriche, engourdie sous le régime d’un absolutisme paternel, et jusqu’à l’entourage intime du prince de Metternich lui-même qui n’eût subi à la longue les atteintes du philhellénisme. Ce pauvre Adam Müller[2], le correspondant, le confident, l’esclave obéissant et dévoué du chevalier de Gentz, eut des velléités de révolte : il ne marchandait pas son adoration perpétuelle devant la sainte alliance, il croyait fermement que tous les constitutionnels sans exception étaient d’affreux jacobins, et Canning « un imposteur et un démagogue ; » mais il demandait qu’il fût fait exception pour ces malheureux Grecs, et il doutait très sérieusement que le principe sacro-saint de la légitimité pût être étendu en conscience jusque sur le régime d’un infidèle, d’un sultan ! Quel devait donc être sur ce point le sentiment populaire en Angleterre, dans ce pays de liberté séculaire et d’éducation classique par excellence, quel devait y être surtout le langage de ces whigs qui déjà en 1791 avaient fait des vœux pour l’extermination des Turcs ? Dès 1822, l’Europe retentit d’une lettre au sujet des Grecs adressée au comte Liverpool, premier ministre de sa majesté britannique, par lord Erskine, le plus célèbre jurisconsulte du

  1. Whose land from plain to mountain-cave
    Was Freedom’s home or Glory’a grave !
  2. Voyez Briefwechsel zwischen Gentz und A. Mïller, p. 360 et passim.