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à cette incertitude fatigante entre des craintes incessantes de guerres nouvelles et le désir universel d’une paix durable.

L’Angleterre, qui a un rôle essentiel dans toutes ces affaires, n’est point évidemment sans éprouver quelques-unes de ces craintes qui tiennent l’Europe dans l’attente de l’imprévu. Elle se sent inquiète et des difficultés que l’exécution du traité de Berlin rencontre en Europe, et de la guerre où elle peut se voir entraînée d’un instant à l’autre dans l’Afghanistan. Tout cela pour elle, c’est la question d’Orient incessamment ouverte en Asie comme en Europe. L’opinion anglaise, sans être accessible aux défaillances, ne dissimule nullement une assez sérieuse émotion, et c’est sans doute pour dissiper au moins en partie les nuages que lord Beaconsfield a prononcé son dernier discours au banquet du lord-maire, où M. de Beust, avant de venir ambassadeur à Paris, a pris galamment congé de la « vieille Angleterre. » Les deux dernières années, à ce même banquet de Guildhall, le chef du cabinet anglais avait eu un langage passablement altier, presque belliqueux ; cette année, il est tout rassurant et pacifique. Lord Beaconsfield en est toujours à l’orgueilleuse confiance, à la bonne humeur toute fière de ses succès de Berlin, de la convention du k juin avec le sultan, de l’occupation de Chypre, et il ne se défend pas d’un certain optimisme ; il traite même assez ironiquement ceux qui montreraient une figure un peu morose et une prévoyance soucieuse. Après tout, il n’ignore rien de la situation diplomatique de l’Europe, des événemens qui prêtent à des interprétations contraires, et il doit bien avoir quelque raison de se montrer confiant. Ce qu’il y a de certain, c’est que, pour lui, il n’admet pas qu’aucun des signataires des dernières conventions songe à éluder ses engagemens. Il ne met pas en doute, quant à lui, la pleine et entière exécution du traité de Berlin a dans sa lettre et dans son esprit. » Lord Beaconsfield pousse en vérité un peu loin l’enthousiasme pour le traité de Berlin lorsqu’il dit que ce traité « sera utile au progrès et à la civilisation du monde, qu’il contient des dispositions admirablement conçues pour assurer la paix et le maintien de la paix… » Nous le voulons bien ; il y a seulement un certain nombre de conditions d’où dépendent tous ces bienfaits et qui ne sont pas d’une réalisation précisément facile. Lord Beaconsfield, il faut l’avouer, est moins explicite ou plus énigmatique au sujet de l’Afghanistan. Ici tout est mystère. — Il y a des mesures qui se préparent ; il ne s’écoulera pas longtemps avant que l’exécution de ces mesures soit commencée : alors la frontière de l’Inde cessera d’être un objet d’inquiétude pour le peuple anglais ! — On vivra « en bons termes avec des voisins immédiats, et peut-être en termes qui ne seront pas mauvais avec certains voisins plus éloignés… » C’est peut-être parler un peu obscurément au sujet d’une question qui passionne et divise les esprits en Angleterre, qui est d’un intérêt vital pour l’empire britannique de l’Inde. Toujours est-il que lord Beaconsfield