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jour, afin de jouir des charmes de la colonie, oui, de ses charmes! Ils n’ont pas goûté d’aussi pures jouissances ailleurs. Plusieurs ont pris, après leur libération, le chemin de l’Amérique; l’un d’eux, animé de l’amour des âmes, s’est senti appelé à annoncer l’Évangile...»

Nul moyen n’était négligé pour assurer ces conquêtes sur le mal. M. Martin-Dupont distingue les moyens négatifs et les moyens positifs. Le travail n’est pour lui qu’un des premiers, avec la répression, et à cet égard il se prononce hautement en faveur du régime cellulaire; l’instruction et l’éducation constituent surtout les seconds. La colonie a une école et une bibliothèque. « L’école, dirigée par un instituteur, durait deux heures chaque jour, trois heures pour les moins avancés. Les colons ont tout le temps d’apprendre jusqu’à leur libération. On leur enseigne à lire, à écrire, à calculer, les élémens du chant, un peu de géographie, d’histoire, ce que l’on enseigne dans les meilleures écoles primaires. Sauf quelques-uns, ou réfractaires ou absolument incapables, frisant l’idiotisme, tous ont appris. » La bibliothèque, composée d’une centaine de volumes, réunit « des livres d’histoire, d’agriculture, des voyages, des biographies, des livres religieux. Les livres d’imagination et d’histoire, ici comme ailleurs, sont les préférés, » M. Martin-Dupont remarque avec regret que le livre des livres pour un chrétien, pour un protestant surtout, la Bible, avait peu d’attrait pour ces jeunes gens, dont il fallait éveiller l’intelligence et la conscience avant d’y faire entrer le sens des choses divines. Il ne négligeait pas toutefois cette dernière partie de sa tâche. Ses devoirs de pasteur étaient toujours les plus importans à ses yeux, et il savait les comprendre dans l’esprit le moins étroit. « La colonie est l’établissement le plus protestant au sens positif du mot; les colons appartiennent à toutes les communions de la réforme, et le culte, à la colonie, n’est ni réformé, ni luthérien, ni morave, ni méthodiste, ni congrégationnel, ni dissident. La colonie, au point de vue religieux, est large, vraiment catholique dans le sens originel et primitif du mot ; tout élément sectaire en a été soigneusement exclu. »

Pendant ces trente années d’un apostolat si ardu, les épreuves les plus cruelles ne furent pas épargnées au directeur. C’est d’abord l’aînée de ses enfans, une fille de vingt ans, qui meurt loin de lui, à Jersey, puis un fils du même âge, son dernier né, qui lui est enlevé après une longue maladie sous ses yeux, puis sa mère, dont il n’a pas la consolation de recevoir le dernier soupir. Il est soutenu par sa foi, par l’affection des enfans qui lui restent, et par celle de leur sainte mère, par l’énergie de son zèle pour sa famille d’adoption. Il ne songea au repos qu’à l’âge de soixante-dix ans, et à ce moment encore une épreuve pénible lui fut infligée. Il avait espéré que son fils aîné, associé à son œuvre depuis sept ans comme sous-directeur, lui succéderait dans la direction de la colonie. Tel était aussi l’avis du conseil d’administration ; mais il fallait l’investiture