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dévoûment des directeurs. Sauf cette courte expérience, leurs efforts se concentrèrent pendant trente années sur les jeunes garçons confiés à la colonie. Et après ces trente années sans un jour de repos, ils pouvaient se rendre ce témoignage : « Près de six cents colons ont passé par nos mains. Il leur a fallu des soins incessans : les nourrir, les vêtir, les coucher, leur fournir du travail, les guérir, les instruire, leur enseigner l’Évangile, l’amour de Dieu, des hommes, le respect pour la propriété d’autrui, les corriger, les régénérer; voilà un cadre qui a demandé à être quotidiennement rempli., L’existence maintenue, le progrès, la prospérité de notre établissement, nous ont toujours tenu profondément à cœur; nous n’avons jamais eu trop de force, trop de temps, trop de lumières et trop de dévoûment à y consacrer. Nous nous sommes presque faits colons avec les colons. Nous les avons hantés, vus, pénétrés, connus, nous mêlant à eux non pour les intimider, les surprendre, les voir du mauvais côté, mais pour leur inspirer confiance, assurance, avec le désir de pleinement nous connaître à leur tour et de bien savoir qui nous étions, ce que nous étions, ce que nous avons voulu être et faire pour eux. Nous avons voulu être une famille; il y a eu le père et la mère; il devait y avoir les enfans. Nous avons tout essayé dans ce but; nous l’avons eu devant nos yeux toujours; nous n’avons pas cessé un moment d’y tendre. Nous les avons suivis bien portans, nous les avons suivis malades, nous avons fait les infirmiers souvent; nous leur avons parlé, lu, fait la prière, adressé des paroles affectueuses, chrétiennes. Nous les avons visités le jour, la nuit, à toute heure selon les cas. »

Le succès a couronné ce dévoûment de tous les instans. « A leur arrivée à la colonie, les colons laissaient tout à désirer, tant pour ce qui regarde le corps que pour le tempérament moral. Ils arrivaient pâles, défaits, ressemblant à des ombres; il semblait que notre maison fût un hôpital de convalescens plutôt qu’une colonie agricole. Mais avec des soins, du régime, un climat des plus salubres, la santé leur revenait, comme la lumière à une lampe garnie de bonne huile. D’autre part, ils étaient sales, gloutons, menteurs, paresseux, égoïstes, sans souci des droits d’autrui, méprisans, sans affection ; la nature, livrée aux plus déplorables instincts, faisait loi; le sentiment, aiguillonné par le besoin, devenait immonde, féroce. A leur sortie, ils ne sont plus ainsi; ils ont oublié et appris, même les pires. Chez un grand nombre, le contraste est bien accusé ; il frappe surtout les parens et les voisins à leur retour dans le lieu de leur naissance... Tous ne persévèrent pas; c’était prévu; mais chez tous cela dure un certain temps, et, chez un grand nombre, le relèvement est réel... D’un grand nombre j’ai reçu des nouvelles, comme d’enfans bien-aimés. Il m’en est venu du Mexique, d’Italie, de Crimée, remplies des sentimens les plus affectueux. Nos anciens colons y expriment le désir de venir nous voir un