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sont nés sur une borne, d’autres ont été rebutés, maltraités et obligés de chercher un asile loin de la maison paternelle et de mendier pour suffire à leurs besoins. Sur le nombre, il y a des enfans illégitimes, nés dans la plus misérable condition; plusieurs sont orphelins dès leur jeune âge, de père ou de mère ou des deux à la fois. Il en est dont les parens mènent une vie errante, sans prendre pied nulle part : le travail leur répugne; ils en demandent quand il n’y en a point, ils le refusent quand il y en a; leurs enfans les suivent; c’est la nature avec ses mauvais instincts. Plus d’un père, plus d’une mère lancent leurs enfans à droite, à gauche, avec menace s’ils reviennent les mains vides, escomptant ainsi la mendicité et le vol ; quelques-uns même les dressent à cela... Plusieurs de nos colons sont de parens dont l’un, tous les deux quelquefois, ont subi la peine de la prison, de la maison de force, du bagne même; ils ont vécu en face du crime et ont été obligés, en quelque sorte, de faire comme leurs parens... Il en est d’autres, enfin, venus au monde avec une mauvaise nature, une nature ingrate et revêche qui a résisté à tout : conseils de parens laborieux et honnêtes, soins affectueux. Le joug du devoir leur a pesé, et ils ont aspiré à une coupable indépendance... Ces turpitudes, ces souffrances physiques et morales, ces vices hérités ou acquis, tout ce passé a marqué son empreinte sur la physionomie de nos colons. Leurs traits sont trop souvent heurtés, déformés; le regard est peu franc et se dérobe, ils ont l’air farouche et peu intelligent; le jeu de leur visage est équivoque, le front est bas; ils sont moins timides que sournois, on les dirait indifférens à tout, mais, en y regardant de près, on voit poindre chez eux les signes d’un profond égoïsme... »

Le relèvement moral des garçons était peut-être moins difficile encore que celui des filles, qui pendant quelques années furent admises à la colonie. « Aux défauts des garçons les filles en ajoutaient qui leur sont propres. Bizarres, fantasques, prétentieuses, il n’y a plus de retenue en elles dès qu’elles sont montées, et qu’elles s’excitent. Souvent elles simulaient des crises nerveuses, se roulaient par terre ou brisaient tout... L’homme en colère est laid à voir; la femme perd tout caractère d’être humain; elle devient hideuse. » — « L’admission des filles avec les garçons dans le même établissement, ajoute M. Martin-Dupont, est résolue affirmativement en Allemagne, par exemple au Rauhen-Haus. Cette solution est plus difficile à justifier chez nous, et notre expérience n’y est pas favorable. Des locaux séparés, la surveillance la plus sévère, ne suffisent pas à supprimer les excitations, les efforts de toute sorte à se deviner, à se rencontrer s’il est possible. Cela entretient une effervescence continuelle, nuisible à tout retour à des sentimens sérieux. »

Le mélange des sexes ne fut à la colonie de Sainte-Foy qu’un essai passager, et s’il ne répondit pas aux espérances qu’on en avait conçues, il récompensa cependant par quelques résultats heureux l’inépuisable