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refouler en lui quelques germes de l’esprit sectaire, il n’avait rien de l’esprit clérical. Il se faisait scrupule de confondre en sa personne, comme directeur et comme pasteur, le pouvoir temporel et le pouvoir spirituel. « Le pasteur, disait-il, est pour la charité, pour le pardon : il est l’organe de la mansuétude. Le directeur est l’homme du droit, du devoir, de la règle avant tout; c’est lui qui distribue le blâme comme la louange, le blâme, hélas! plus souvent que la louange dans une maison comme la nôtre. De là une marche à suivre inverse entre le pasteur et le directeur en bien des cas, et s’il se présente qu’il y ait conflit entre le rôle du directeur et celui de l’aumônier, lequel prévaudra? Ce n’est pas tout. Le colon châtié, même le plus légitimement, pourra voir d’un œil mauvais le directeur remplissant l’office de pasteur et parlant de miséricorde, de salut par la grâce; si bien Que ce qui est dit pour toucher son cœur aura pour effet d’augmenter son endurcissement. Plus d’une fois j’ai été anxieux, troublé, mal à l’aise à cet égard; et je me demande s’il n’y aurait pas avantage à séparer des fonctions si distinctes : à celui-ci l’autorité, la répréhension, le devoir de maintenir intacts l’ordre, la discipline; à celui-là de représenter la bienveillance, l’amour, le pardon. »

Ce scrupule honore celui qui l’a exprimé avec tant de candeur; mais peut-être est-il excessif. Si l’ordre temporel et l’ordre spirituel peuvent se confondre sans inconvénient, c’est dans l’éducation de l’enfance, où il faut un mélange de fermeté et de douceur, de sévérité et d’amour. La famille unit naturellement les deux pouvoirs, et elle est le modèle dont se doivent rapprocher, autant que possible, les maisons qui tiennent sa place. Le pasteur protestant peut d’ailleurs, mieux que le prêtre catholique, assumer, dans une maison d’éducation ou de correction, la double mission de la famille, parce qu’il est lui-même un père de famille et que son autorité, pour les soins matériels et pour la direction morale de l’enfance, est complétée et tempérée par celle d’une mère.

M. Martin-Dupont s’était marié aussitôt après sa consécration. Il eut le bonheur de rencontrer une compagne qui fut à la hauteur de tous les devoirs qu’il eut à remplir ou que lui imposa son zèle d’apôtre. Elle fut de moitié dans tout le bien qu’il fit pendant trente ans à la colonie de Sainte-Foy. Il Dieu, dit-il lui-même, semble l’avoir douée à dessein des qualités exigées pour une telle œuvre. Elle a fait preuve d’un coup d’œil, d’une pénétration rares, d’une volonté ne se rebutant jamais devant aucun embarras, d’une activité infatigable et d’un courage à toute épreuve. Elle ne sait pas ce que c’est que d’être arrêtée, ni intimidée devant le devoir à accomplir. Elle m’est une aide précieuse, et je ne sais, sans elle, ce qui aurait été fait, car elle est à tout, partout, la première et la dernière. Elle a le temps de soigner sa famille, de faire l’infirmière, le médecin au dedans et au dehors.