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et aux Bordes dans l’Ariège, à l’île d’Oléron, à l’île de Ré. Il y déploya son zèle d’apôtre, mais peut-être avec un certain excès. Il y avait chez lui, quoiqu’il s’en défendît, du sectaire. Il était fermement attaché à la pure doctrine calviniste de la prédestination et de la grâce, et rien ne lui était plus pénible que l’indifférence ou l’ignorance de la plupart des protestans à l’égard des fondemens de leur foi. Il détestait les mariages mixtes et tout ce qui peut entraîner la tiédeur ou introduire des élémens hostiles au sein des communautés protestantes. C’était cependant, hâtons-nous de le dire, un sectaire parfaitement libéral. Il ne comptait que sur la persuasion pour gagner et pour sauver les âmes; il repoussait toute immixtion du pouvoir civil. Il a souvent regretté de n’avoir pas fait partie de l’église protestante libre. « Être séparé de l’état, disait-il, se gouverner soi-même, c’est la vérité pour l’église. »

Après onze ans de fonctions pastorales, un champ plus fécond fut ouvert à son activité. La Société des intérêts généraux du protestantisme français lui confia, en 1842, la direction d’une colonie agricole pénitentiaire qu’elle se proposait de fonder pour les jeunes détenus protestans. Ici il n’y avait plus à faire œuvre de sectaire, même dans l’esprit le plus libéral. Les ministres des cultes qui vivent au milieu de sociétés honnêtes, dont ils sont appelés seulement à fortifier et à compléter l’éducation morale, s’exagèrent aisément l’importance de certains dogmes auxquels s’attachent toute l’ardeur de leur foi et tout l’effort de leur prosélytisme. Ils n’oublieront pas sans doute ces dogmes, mais ils sentiront le besoin d’autres moyens d’action plus simples et plus sûrs, s’ils ont à former au bien des âmes malsaines, étrangères ou rebelles à toute notion morale, souillées dès la première enfance par la contagion du vice et du crime. La foi religieuse sera encore leur principale force par ses principes généraux et par ses pratiques, mais les questions controversées n’y tiendront plus la première place, et elle fera surtout appel à tout ce qui peut survivre encore, dans une nature grossière ou corrompue, des instincts moraux du genre humain.

Il serait hors de propos de discuter ici la question des rapports de la morale avec la religion naturelle ou les religions révélées. La morale indépendante a ses théoriciens, elle a même ses apôtres, mais le temps est loin encore, s’il doit venir jamais, où la société sera préparée à lui demander un corps d’éducateurs laïques pour certains services publics, tel que celui des maisons de correction. Ces maisons ne peuvent se passer, au moins d’ici longtemps, de l’enseignement religieux, et il est naturel que chaque culte veuille avoir pour cet enseignement ses établissemens spéciaux, surtout quand il s’agit de jeunes détenus. C’est là que le prosélytisme est à sa place, et c’est là qu’il offre le moins de prise à son double danger, l’esprit sectaire et l’esprit clérical.

Si le premier directeur de la colonie pénitentiaire protestante eut à