Page:Revue des Deux Mondes - 1878 - tome 30.djvu/467

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

chauffée par la présence des vaches et des brebis, là même où la famille se tenait d’habitude le jour et durant la veillée. On n’y était pas commodément, cela se comprend sans peine, mais on n’y avait pas froid, et l’on était content si la place était assez spacieuse et le jour suffisant pour donner et recevoir les leçons. — Les leçons? On apprenait à lire, à écrire et à chiffrer; le tout mécaniquement et sans principes. Les instituteurs étaient plus d’une fois dépassés par les élèves appliqués et intelligens. Ce par quoi ils se faisaient remarquer, c’était la dureté, la brutalité avec laquelle ils traitaient les élèves. On aurait dit que la première qualité de ces pédagogues était la rudesse, la barbarie. Cela était reçu des parens; l’opinion y était favorable. Un instituteur qui n’aurait pas à coups de bâton, de férule, de nerf de bœuf, frappé ses élèves sur les mains, sur le dos et ailleurs, aurait passé pour un médiocre instituteur. »

Le second des fils du capitaine Martin-Dupont, Ferdinand, manifestait les dispositions les plus heureuses pour l’étude. Il eut bientôt épuisé tout ce qu’on pouvait apprendre dans les écoles de la vallée quand une ressource inespérée s’offrit à lui pour aller plus loin. Un ancien soldat, qui avait étudié pour la prêtrise, s’étant retiré dans le pays, y ouvrit une école où il se plut à enseigner tout ce qu’il savait ou croyait encore savoir : la grammaire, la géographie, l’orthographe, un peu d’histoire, de littérature et même, pour le jeune Martin-Dupont, les élémens du latin.

Ce n’était encore qu’une école d’hiver, interrompue chaque année pendant plus de six mois. Le professeur n’était pas d’ailleurs bien savant. « Il avait oublié son latin dans les casernes, dans les camps et dans les combats, sur plus de quarante champs de bataille. » Il réussit du moins à éveiller chez son élève le désir d’une instruction supérieure. La pauvreté de la famille ne permettait pas de chercher cette instruction dans un collège. On put heureusement procurer au studieux jeune homme les leçons d’un ancien professeur, établi dans la petite ville de Mens, aux environs de laquelle il reçut l’hospitalité chez des parens de sa mère. Il trouva dans cette ville une autre bonne fortune qui décida de sa vocation.

Un jeune pasteur de Genève, Félix Neff, — un nom célèbre dans les annales du protestantisme contemporain, — s’était donné la mission de réveiller la foi évangélique dans le sud-est de la France. Dans un séjour qu’il fit à Mens, il remarqua Ferdinand Martin-Dupont, l’attira près de lui et, lui communiquant toute l’ardeur de son zèle, il fit de lui son auxiliaire le plus actif et le plus dévoué. Il ne pouvait toutefois, à ce moment, lui fournir les moyens de poursuivre ses études classiques en vue du ministère sacré. Allant au plus pressé, le jeune évangéliste se munit du brevet de capacité, qui commençait à être exigé, et se chargea de l’école protestante dans son village. Pendant les longues vacances du printemps et de l’été, il va prendre des leçons