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LA RELIGION DANS ARISTOPHANE.

représentait Iacchus la torche à la main était portée en tête du cortège sur la voie sacrée d’Éleusis.

Dans un autre endroit, à la fin de tout le morceau, il est encore question de prairies et de danses. Mais alors la procession sacrée est arrivée au terme de sa marche. Suivant la fiction d’Aristophane, il s’agit de prairies infernales, où, de même que dans les prairies éleusiniennes, les initiés célèbrent par des danses les veillées saintes. Là, « seuls parmi les morts, ceux qui ont été initiés et ont vécu saintement, respectant les étrangers et leurs concitoyens, jouissent des clartés sereines du soleil. » Ce sont les bienheureux, tels que les montrera Virgile, à l’imitation de Pindare, dans la gloire lumineuse de leur séjour privilégié :

Largior hic campos æther et lumine vestit
Purpureo, solemque suum, sua sidera norunt.

Pour comprendre la composition d’Aristophane, M. Wecklein remarque avec raison qu’il faut tenir compte de trois choses : les mystères d’Éleusis sont imités dans une certaine mesure ; la scène est placée dans les enfers ; la pièce se joue à Athènes dans des circonstances politiques d’une nature particulière. Ajoutons que cette pièce est une comédie, et une comédie athénienne. Ces élémens se mêlent et se combinent perpétuellement.

C’est ce qui se voit surtout dans la proclamation de l’hiérophante. Voici ce qui se passait dans la célébration réelle de la fête : le premier jour, appelé agyrmos (rassemblement), la procession se réunissait près de l’Éleusinium d’Athènes, et des proclamations étaient faites dans le portique du Pœcile par l’archonte-roi au nom de l’état, par l’hiérophante et le dadouchos au nom de la religion, pour exclure ceux qui étaient indignes d’être admis parmi les initiés. Ces interdictions étaient prononcées contre les barbares et ceux qui n’avaient pas les mains ni l’âme pures. Dans Aristophane, ces formes sont en partie conservées. L’hiérophante s’avance et, employant les formules consacrées, il commande un silence religieux et proclame une série d’exclusions. Mais quels sont les exclus ? Un seul trait est directement emprunté au rituel : celui dont la pensée n’est point pure. Il n’y en a pas d’autres. Ceux qui sont désignés avec plus d’insistance comme frappés d’indignité sont d’abord les esprits lourds, les inexpérimentés, chez qui ne s’est pas développé le sens de la comédie, et qui, par conséquent, seraient mauvais juges de la pièce : « Ceux qui n’ont point vu ni célébré par leurs danses les fêtes enthousiastes des nobles muses, qui n’ont pas été initiés aux mystères de la langue de Cratinus,