Page:Revue des Deux Mondes - 1878 - tome 30.djvu/417

Cette page a été validée par deux contributeurs.
411
LA RELIGION DANS ARISTOPHANE.

Telle était la source commune où les deux poètes avaient d’abord puisé.

M. Wecklein se renferme donc dans une explication trop étroite quand il ne voit dans Aristophane qu’un développement comique d’un vers d’Euripide. A-t-il raison d’ailleurs de rejeter ce qu’on a proposé avant lui ? La pièce a pour objet principal d’établir la supériorité d’Eschyle sur Euripide. Or celui-ci est attaqué d’abord comme immoral et impie. Il a ses dieux à lui, qu’il invoque avant d’engager la lutte : « L’Éther, dont il se nourrit, l’agilité de la langue, l’intelligence, la finesse du flair (c’est-à-dire la critique). » Bien différente est l’invocation d’Eschyle : « Déméter, toi qui as nourri mon âme ; fais que je paraisse digne de tes mystères ! » Quelle prière convient mieux à cet enfant d’Éleusis, au poète patriote qui accomplit le double devoir de la poésie, enseigne les hommes et les transforme en héros par ses mâles accens ? Et n’est-il pas assez naturel de supposer qu’Aristophane, avant de placer ainsi la victoire d’Eschyle sous le patronage de la grande déesse et de ses saints mystères, pensait déjà au poète d’Éleusis, lorsqu’il imaginait d’introduire ces mêmes mystères dans sa pièce et de composer le chœur d’initiés ?

La seconde explication de M. Meier n’est pas moins vraisemblable ; on peut croire que l’invention d’Aristophane lui a été suggérée par le souvenir tout récent de la satisfaction qu’avait causée aux Athéniens la célébration solennelle des Éleusinies. C’était un titre certain à la faveur du public que d’en renouveler l’impression, et rien n’était plus conforme à l’esprit politique qui respirait dans la pièce et en assura le succès. On nous dit en effet que, si les Grenouilles obtinrent le premier prix, et si, après cette victoire, on leur accorda le rare privilège d’une seconde représentation très voisine de la première, ce fut à cause de l’appel aux sentimens d’union et de concorde qui remplit la parabase. Souvenons-nous de ce qu’étaient alors les émotions politiques, au lendemain de la condamnation prononcée contre les vainqueurs des Arginuses et presque à la veille du désastre décisif d’Ægos-Potamos. C’était un peuple éprouvé depuis quelques années par des alternatives subites de désespoir et d’espérances infinies, travaillé par des complots, des essais de réorganisation, des révolutions, troublé par le sentiment du péril au milieu même de ses victoires, qui entendait retentir dans le théâtre ces belles paroles : « Il est juste que le chœur sacré donne à la cité de bons conseils. Nous pensons qu’il faut en bannir les craintes et rendre aux citoyens des droits égaux… Si nous montrons une dureté orgueilleuse, et cela quand nous sommes à la merci des flots, plus tard on ne jugera pas notre conduite sensée. » Ces paroles de