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les divinités, avec une proportion plus ou moins forte de liberté dans la satire contre les hommes. Quant à ce que j’ai appelé les litanies, on y reconnaît de la part du poète une intention de se rapprocher des idées religieuses qui semblent élémentaires dans les Thesmophories. Il y a une invocation à Héra qui préside aux unions légitimes, qui garde les clés du mariage ; il y en a une aussi aux divinités agrestes, à Hermès Nomios, à Pan et aux nymphes. Or les déesses Thesmophores sont les législatrices de la société et de la nature. Cependant elles ne sont elles-mêmes nommées que dans une introduction lyrique qui précède cette série d’invocations et exprime clairement dans quelle mesure, déterminée par les allures naturelles de la comédie, Aristophane prétend imiter le culte des saintes déesses : « Allons, livrons-nous à nos jeux, comme l’usage ici nous y invite ; quand à l’époque consacrée nous célébrons en l’honneur des déesses ces fêtes augustes que célèbre aussi Pauson par ses jeûnes. » Ce qui fait bien voir que ces chants religieux appartiennent au théâtre et non au sanctuaire, c’est que le développement le plus considérable est réservé, comme conclusion du morceau, au dieu du théâtre, à Bacchus, appelé pour conduire les danses, Bacchus couronné de lierre, qui, dans les bois et les rochers du Cithéron, retentissant du cri d’Évoé, mène les chœurs des nymphes. Faut-il ajouter qu’Apollon, dont la statue fait partie de la décoration constante de la scène et qui par là est aussi une divinité du théâtre, est invoqué par une prière de circonstance ? « Donne-nous la victoire, » dit le chœur, c’est-à-dire la victoire au concours dramatique.

En résumé, Aristophane respecte religieusement le secret des mystères, et, s’il ne se croit pas obligé de ménager les femmes qui célèbrent les Thesmophories, à l’égard des déesses il ne se permet pas une parole, pas une pensée offensante. Cette fête était une des plus saintes de la Grèce. Le poète Calvus disait de Cérès : « Elle enseigna les lois saintes, consacra par le mariage les liens affectueux, fonda les grandes cités[1]. » Ce sont les attributions que la solennité athénienne honore chez Déméter et chez sa fille, en y joignant le sens agraire, qui dans la pensée grecque est inséparable de la fonction civilisatrice, la culture de la terre ayant fait succéder l’habitation fixe à la vie errante et sauvage. Les Thesmophories se célébraient vers le commencement de novembre, quand avec les semences d’automne l’année agricole était terminée et que l’on avait recueilli tous les dons de ces bienfaitrices de l’humanité. C’était le moment de leur témoigner la reconnaissance qui leur était due et

  1. Et leges sanctas docuit et cara jugavit
    Corpora connubiis et magnas condidit urbes.