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LA RELIGION DANS ARISTOPHANE.

région des ténèbres. » — « Heureux, répéteront plusieurs siècles après Pindare et Sophocle, celui qui descend sous la terre, après les avoir vus ! Seul il trouve dans les enfers la science et la vie. »

À l’époque de Pindare, les fêtes éleusiniennes de la déesse étaient dans toute leur splendeur. La grande procession partait d’Athènes sous la conduite du divin Iacchus, forme mystique du Bacchus de l’orphisme par laquelle étaient à la fois personnifiées la vie de la nature et l’âme humaine ; les cérémonies de la route, les fêtes de jour et de nuit autour du temple, enfin le drame sacré et les initiations dans l’intérieur du sanctuaire étaient organisés, et, malgré quelques dissonances de détail, réalisaient dans leur ensemble, aux yeux des Grecs, les idées les plus hautes sur la Providence divine et sur la destinée humaine. Parmi les prodiges qui se rapportent à la victoire de Salamine, Hérodote raconte que l’Athénien Dicéos, se trouvant dans la plaine sacrée d’Éleusis, alors abandonnée et au pouvoir des Perses, entendit sortir d’un nuage de poussière le cri mystique d’Iacchus, et qu’il lui parut qu’il y avait là trente mille personnes : c’était la procession des initiés. Un pareil chiffre, quelque valeur qu’il ait en lui-même, semble supposer que toute l’Attique se portait déjà avec ferveur vers ces saintes cérémonies.

L’autorité des mystères d’Éleusis ne s’affaiblit pas avec le temps. C’étaient les mystères par excellence. Isocrate, dans son Discours panégyrique, célébrait Cérès comme la bienfaitrice de l’humanité par les deux plus beaux dons : le blé, qui avait mis fin à la vie sauvage, et les mystères, « qui donnent aux initiés des espérances plus douces pour la fin de leur vie et pour toujours. » Les éloges de Cicéron, dans un passage cependant où il blâme les cérémonies nocturnes, sont encore plus magnifiques. Les mystères sont pour lui ce qu’il y a de plus excellent et de plus divin parmi tous les biens que les hommes ont reçus d’Athènes : « Nous leur devons, dit-il, la civilisation, l’initiation, bien justement nommée (initium), par laquelle nous avons vraiment commencé à vivre, qui nous a donné la joie pour la vie et de meilleures espérances pour la mort. » Auguste après Actium, Adrien et Marc-Aurèle se faisaient initier.

Au temps où la vie politique d’Athènes est le plus intense, la célébration des mystères d’Éleusis est pour les Athéniens une sorte d’institution nationale qui resserre les liens de la cité. Après la victoire remportée par Thrasybule sur les Trente, près du Pirée, le héraut des initiés, Cléocrite, fait un appel à la concorde : « Citoyens, pourquoi voulez-vous notre exil et notre mort ? Nous ne vous avons jamais fait aucun mal ; nous avons eu part avec vous aux cérémonies les plus simples, aux sacrifices, aux fêtes les plus belles… » Et tel est l’effet de ces paroles que les Trente se hâtent d’emmener