Page:Revue des Deux Mondes - 1878 - tome 30.djvu/407

Cette page a été validée par deux contributeurs.
401
LA RELIGION DANS ARISTOPHANE.

qui vit de la crédulité publique. Ceux-ci se distinguent par l’usage des livres supposés d’Orphée et de Musée et peut-être par leur habileté à organiser l’exploitation des riches ; mais les formules d’invocation, les rites de purification, les secrets prétendus pour enchaîner la malveillance divine et racheter les fautes de l’initié, et même celles de ses pères, dont la solidarité le poursuivrait dans ce monde et dans l’autre, ressembleront si bien aux moyens employés par les prêtres de Sabazius et les corybantes, qu’il deviendra assez difficile de distinguer entre elles ces trois variétés de charlatans. Il y a cependant un fond vraiment religieux dans la pensée dont ces pratiques étaient sorties, dans cette idée d’employer l’expiation comme soulagement des maux de la vie, comme garantie contre les rigueurs de la puissance inconnue par laquelle l’humanité, faible et ignorante, se sent menacée parmi les incertitudes de l’existence terrestre et dans la nuit de la destinée d’outre-tombe, et c’est par là que ces cultes si imparfaits se rattachent à des mystères beaucoup plus révérés, les mystères orphiques et les mystères d’Éleusis, dont il est aussi question dans Aristophane.

Il ne touche qu’incidemment à l’orphisme et n’y fait qu’une seule allusion de quelque étendue, dans laquelle il ne s’agit que de la cosmogonie orphique. Reprenant l’œuvre d’Hésiode et la modifiant, probablement sous une influence orientale, l’organisateur de cette nouvelle doctrine avait donné au principe de l’amour une valeur plus grande : c’était pour lui l’énergie vitale, l’âme du monde ; il sortait de l’œuf cosmique dont les deux moitiés formaient la terre et la coupole du ciel. Quelle conception pouvait mieux convenir à la cosmogonie fantastique par laquelle Aristophane consacre les droits des oiseaux au sceptre de l’univers ? Il s’en empare donc pour réunir dans une même parodie la théogonie d’Hésiode et la cosmogonie orphique :

« Allons, hommes voués par nature aux ténèbres, semblables aux feuilles qui tombent, êtres impuissans et faits d’argile, foule de fantômes sans consistance, créatures éphémères et dépourvues d’ailes, mortels misérables, hommes pareils à des songes, tournez votre attention vers nous qui sommes immortels, qui vivons toujours, habitans de l’éther, exempts de vieillesse, qui nourrissons des pensées éternelles, afin que vous appreniez de nous la vérité sur les choses célestes, et que, sachant ainsi l’origine des oiseaux, la naissance des dieux et des fleuves, et de l’Érèbe et du Chaos, vous puissiez désormais faire la nique à Prodicus[1]. Au commencement étaient le Chaos et la Nuit, et le noir Érèbe et le vaste Tartare : ni

  1. Probablement auteur d’une cosmogonie orphique.

tome xxx. — 1878.26