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LA RELIGION DANS ARISTOPHANE.

mentales par la musique excitante et les danses des corybantes. Le juge des Guêpes est soumis à ce traitement ; mais sa folie est incurable, et il fait irruption avec son tambour dans le tribunal.

C’étaient, avec la classe inférieure, les femmes, plus accessibles à la superstition, plus facilement prises par l’imagination et par les sens, qui se portaient avec le plus d’ardeur vers les religions les plus démonstratives et les plus passionnées. Lysistrate, dans la pièce qui porte son nom, nous le dit en se plaignant de la lenteur de ses complices : « Si on les convoquait dans le temple de Bacchus ou de Pan, ou d’Aphrodite Coliade, ou de Génétyllis, tous leurs tambours obstrueraient le passage. » Il faut croire en effet que toutes ces fêtes et ces processions amenaient une grande consommation de tambours, car, avec le progrès du temps, la peinture seule de ces instrumens à Athènes alimenta toute une industrie particulière.

Parmi ces cultes passionnés, celui qui entra le plus dans les mœurs grecques et laissa le plus de traces dans les lettres, c’est le culte sémitique d’Adonis, le Seigneur, le principe mâle dont la nature est privée temporairement, qu’elle pleure et qu’elle a la joie de retrouver. Le mythe d’Adonis hellénisé paraît dans tout son éclat chez Théocrite, dont les commères syracusaines assistent à la fête magnifique d’Alexandrie, et chez son contemporain Bion qui développe élégamment la lamentation funèbre : « Je pleure Adonis : il est mort le bel Adonis ! Il est mort le bel Adonis ! répètent en pleurant les Amours. Cesse de dormir dans tes vêtemens de pourpre, ô Cypris ; éveille-toi, malheureuse, et vêtue de noir, te frappant la poitrine, dis à tous : il est mort le bel Adonis !… » Dans la fête d’Alexandrie, telle que la décrit Théocrite, Adonis et Vénus sont couchés sur des lits d’ébène, ornés d’ivoire et des métaux les plus précieux. Des tapisseries richement brodées, des plantes dans des corbeilles d’argent, des parfums dans des vases d’or, de petits bosquets d’anis dans lesquels semblent voltiger des Amours, complètent la décoration.

Athènes, au siècle de Périclès, ne connaît pas ce déploiement de magnificence fastueuse en l’honneur de la divinité étrangère, non plus que ces grosses foules cosmopolites qui se presseront dans les rues de la grande ville égyptienne ; mais elle a déjà accepté ce qui fait le fond de la fête, les démonstrations de douleur au sujet de la mort d’Adonis, et même elle y met une passion plus vive et plus religieuse, car, au lieu d’un spectacle officiel et d’une chanteuse salariée, on y voit les Athéniennes elles-mêmes qui jouent les rôles pour leur propre compte. Plutarque raconte que la guerre de Sicile fut décidée au moment où l’on célébrait la fête funèbre d’Adonis,