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de cuivre. Les lyres vibrent éclatantes ; sortis on ne sait d’où, les sourds mugissemens du tambour semblent la voix effrayante d’un tonnerre souterrain. » Voilà comment Eschyle présente à l’imagination des Athéniens ces transports bruyans par lesquels les barbares du nord soulageaient leur besoin d’enthousiasme. Ces traits, sans rapport avec la réalité des mœurs athéniennes, rappellent les cultes phrygiens de Sabazius et de Cybèle, qu’au temps d’Eschyle Athènes ne connaît pas non plus directement. De ces trois divinités, c’est Cybèle seule qui recevra directement le droit de cité et que l’état admettra, non sans répugnance, aux honneurs du culte officiel. Quant à Cotytto, à l’époque de la comédie ancienne, elle n’était pas acceptée dans Athènes comme chez sa voisine Corinthe, la ville voluptueuse et ouverte aux étrangers, mais déjà elle avait essayé de pénétrer dans les mœurs. Le côté licencieux de son culte avait séduit quelques jeunes débauchés, sans doute ceux dont parle Juvénal[1]. Ce qui donne le plus d’intérêt à ce souvenir, c’est qu’à leur tête était Alcibiade, et qu’à cette occasion une tradition le met en rapport avec Eupolis, qui, dans sa comédie des Baptes, avait flétri ces faits scandaleux. Elle lui attribue même une vengeance terrible : « Tu m’as inondé des flots de ta satire, dit-il dans une ancienne épigramme, en jouant sur le nom de la pièce ; hé bien, moi, je te ferai prendre un bain plus amer dans l’onde marine, et tu y laisseras ta vie. »

C’est Aristophane qui nous a laissé les témoignages les plus importans sur ces cultes enthousiastes et, en général, sur les cultes mystérieux. Il nous est mieux connu, et peut-être ces questions l’ont-elles particulièrement préoccupé. Parmi ses comédies perdues, une au moins, les Heures, s’y rapportait. Elle était dirigée contre les adorateurs de Sabazius, le Dionysos phrygien. On peut être surpris de voir le théâtre attaquer son dieu ; mais c’est qu’il ne faut pas confondre le Dionysos athénien avec la divinité thrace ou phrygienne. Non que le caractère enthousiaste de Bacchus n’ait été pour rien dans la création du drame ; ce côté de sa religion y a été au contraire pour beaucoup. On peut dire, en un sens, que la tragédie en est née, et qu’elle en a toujours gardé le souvenir dans certaines de ses conditions et de ses formes, par exemple dans ces lamentations lyriques qui portaient le nom de Commos. Cependant le culte extatique du dieu n’a que faire dans la comédie ; il est complètement étranger à son origine et à sa nature, de même qu’il occupe peu de place dans les mœurs athéniennes, dont elle nous représente

  1. Talia secreta coluerunt orgia tæda
    Cecropiam soliti Baptæ lassare Cotytto.