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LA RELIGION DANS ARISTOPHANE.

Les dieux cabires des îles de Lemnos et de Samothrace, à travers l’obscurité mystérieuse dont ils sont enveloppés, laissent transpirer une signification analogue. Déméter et Coré, ou, sous leur forme latine, Cérés et Proserpine, personnifient les alternatives d’abondance féconde et de nudité stérile des champs où pousse le blé. La nature, les forces secrètes qui la font vivre, le feu intérieur, sujet à s’éteindre et à se ranimer, qui, à époques fixes, échauffe les germes déposés dans le sol, les ardeurs inégales du soleil, qui disparaît et qui revient, tue et vivifie, ces grands mystères dont les effets, toujours présens, sollicitent les sens de toutes parts, ont été la source principale d’une religion primitive qui, rejetée dans la Grèce propre à l’arrière-plan, se déployait tout autour d’elle et l’enveloppait. Dans cette religion, l’homme, comme enfermé et entraîné dans un cercle mouvant de phénomènes et de lois, s’y confondait avec tout ce qui participait à l’existence.

C’est à cette absorption de la personne humaine dans l’univers que les instincts de la Grèce avaient répugné. Et cependant il vint une heure où l’hellénisme, pour combler le vide de son ciel clair et froid, fut contraint de ressaisir ce qu’il avait d’abord rejeté. Pourquoi ? c’est qu’il lui sembla qu’il y trouvait mieux la satisfaction d’un besoin impérieux de force et de durée. Le côté vraiment religieux de ces cultes extatiques ou mystérieux, c’est que l’homme, ainsi rapproché de la nature, y croyait voir ce qu’il cherchait, la plénitude de l’existence et l’immortalité. Il croyait sentir en lui-même une vie puissante comme celle de la sève, comme celle du feu, comme celle du soleil ; il se sentait aussi soumis comme la nature à des alternatives de force et de faiblesse, d’ardeur et de langueur, et il entrait dans l’action universelle de ces lois secrètes qui font reverdir la plante après l’avoir dépouillée, raniment l’éclat du soleil pâli, fécondent la graine tombée de l’arbre desséché et recueillie dans le sein de la terre, et, par une perpétuelle vicissitude, font renaître régulièrement la vie de la mort. Ainsi semblait pouvoir se résoudre une des contradictions de sa destinée, celle dont il a sans cesse le sentiment douloureux entre les limites étroites qui bornent son existence et les aspirations passionnées qui l’emportent au-delà. Ces religions mystérieuses avaient encore un autre attrait : elles tendaient aussi à rétablir l’harmonie morale, par le contentement de ce désir de pureté et de bonheur dont l’infatigable énergie résiste aux constantes déceptions de la vie présente. Cette idée est l’idée proprement grecque, et elle eut sa principale expression dans les mystères d’Éleusis.

Ce fut au vie et au ve siècle que se produisit en Grèce ce mouvement religieux. Pour ne parler que d’Athènes, il s’y manifesta par