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le premier aumônier de la reine. C’était un vrai gentilhomme et le meilleur homme du monde, que tout le monde aimait, répandu dans le plus grand monde et avec le plus distingué. On l’appelait volontiers le bon Langres, il n’avait rien de mauvais, même pour les mœurs, mais il n’était pas fait pour être évêque[1]. »

De ces lettres de Boursault au bon Langres, je détacherai seulement les anecdotes qui intéressent l’histoire, l’histoire de la société comme celle des lettres. Vous savez la noble conduite de Boileau envers Patru tombé dans la misère ; vous savez comment ce même Boileau protesta auprès de Mme de Montespan contre l’édit qui supprimait la pension de Corneille. Par qui a-t-on connu ces belles actions ? Par une lettre de Boursault au bon Langres. Ce passage mérite d’être cité en entier. L’auteur vient de faire un éclatant éloge de Catinat. Il continue en ces termes :


Après vous avoir parlé d’un grand maréchal de France, que je ne connais que sur la relation de la voix publique, trouvez bon, monseigneur, que je vous parle d’un homme illustre d’une autre manière, dont j’ai autrefois été l’ennemi, — et de qui je ne pourrais m’empêcher de bien parler, quand je le serais encore. C’est de M. Despréaux, que j’ai déjà cité au commencement de cette lettre. M. Patru, de l’Académie française, qui avait beaucoup de mérite et peu de bien, étant persécuté par d’inflexibles créanciers qui voulaient faire vendre publiquement sa bibliothèque, M. Despréaux, qui en fut averti, l’acheta, pour empêcher qu’on ne lui fît l’affront de la déplacer, et la laissa à M. Patru pour en jouir le reste de sa vie, comme si elle eût toujours été à lui. Si ce plaisir fut grand pour celui qui le reçut, je ne doute point qu’il ne le fût encore davantage pour celui qui le fit. Le même M. Despréaux, ayant appris à Fontainebleau qu’on venait de retrancher la pension que le roi donnait au grand Corneille, courut avec précipitation chez Mme de Montespan et lui dit : que le roi, tout équitable qu’il était, ne pouvait sans quelque apparence d’injustice donner pension à un homme comme lui, qui ne commençait qu’à monter sur le Parnasse, et l’ôter à un homme qui depuis si longtemps était arrivé au sommet ; qu’il la suppliait, pour la gloire de Sa Majesté, de lui faire plutôt retrancher la sienne qu’à un homme qui la méritait incomparablement mieux ; et qu’il se consolerait plus facilement de n’en avoir point que de voir un si grand poète que Corneille cesser de l’avoir. Il lui parla si avantageusement du mérite de Corneille, et Mme de Montespan trouva sa manière d’agir si honnête qu’elle lui promit de le faire rétablir et lui tint parole. Quoique rien ne soit plus beau que les poésies de M. Despréaux, je trouve que les actions que je viens de dire à Votre Grandeur sont encore plus belles.

  1. Mémoires de Saint-Simon, t. I, chap. XVII.