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Le principal correspondant de Boursault, celui avec lequel il fait surtout office de gazetier littéraire dans la période qui nous occupe, c’est encore un évêque, et de plus un pair du royaume, le duc-évêque de Langres. Vingt ans auparavant, il lui aurait donné des nouvelles de la cour et de la ville, comme il faisait dans ses lettres au grand Condé, à la duchesse de Montpensier, à la duchesse d’Angoulême ; aujourd’hui, habitant presque toujours la province, il lui envoie seulement sur sa demande expresse des souvenirs du monde parisien, des anecdotes du temps passé. On est un peu surpris d’abord du ton et du contenu de ses lettres; on s’étonne que le duc-évêque donne ainsi carte blanche au journaliste pour toutes les drôleries qu’il voudra bien lui raconter. Que voulez-vous? monseigneur a la goutte, et le meilleur remède au mal qui le tourmente ce sont les gauloiseries de Boursault. Il aime surtout les historiettes, les particularités inconnues ; les plus salées même ne l’effraient pas, pourvu qu’on y sente l’honnête homme. Déjà Boursault lui avait fait parvenir tous les anas qui avaient paru à cette date, le Scaligériana, le Thuana et le Perroniana, le Ménagiana, le Valésiana, le Sorbériana', le Furetièriana, sans compter l’Arlequiniana. Il y ajoute une lettre toute remplie d’anecdotes, dont quelques-unes singulièrement vives, ce qui lui cause une certaine inquiétude : « Si par hasard il m’échappe quelque chose d’un peu libre, je supplie très humblement Votre Grandeur de se souvenir que les bons mots sont ennemis de la contrainte, et de ne pas m’accuser de lui manquer de respect quand je cherche à lui faire voir mon zèle. J’en userai avec tant de circonspection que, loin d’exprimer une matière obscène par des termes impurs, je tâcherai de corriger l’obscénité de la matière par la pureté des termes. » Circonspection très délicate, mais bien superflue; la seule crainte de l’évêque, c’est que les scrupules de Boursault ne privent le diocèse de Langres de ces réjouissantes missives. Voyez avec quelle confiance il l’encourage : — « Un volume entier des livres que vous m’avez envoyés ne contient pas tant de choses que la lettre que j’ai reçue de vous... Tout ce que Langres a de personnes de distinction y a pris le même plaisir que moi; et vous nous feriez grand tort à tous si vous ne m’écriviez plus. Je vous donne l’absolution par avance de tout ce que vous y mettrez, étant persuadé que vous n’y mettrez rien qui ne soit d’un honnête homme. »

Quel est donc cet évêque si empressé d’absoudre par avance le joyeux conteur? A en juger par ses lettres à Boursault, c’est un bon homme, avec cela un homme du meilleur monde, un homme de qualité au premier chef, mais il faut reconnaître qu’il n’a guère l’esprit de sa charge. C’est précisément le jugement qu’en porte Saint-Simon : « M. de Langres fut élevé à la cour et de bonne heure