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le nom de sa mère, et la même nuit, à la même heure, la belle Uranie, femme de Poliante, donna le jour à un fils qui fut appelé comme son père. Poliante et Artémise, voilà les deux héros de cette romanesque histoire. Destinés l’un à l’autre par l’affection qui unit leurs parens, les deux enfans grandissent ensemble et s’accoutument à s’aimer. Des impressions naïves et pures se gravent dans ces jeunes âmes :

..... Crescent illæ, crescetis, amores!


Les années s’écoulent au milieu de ces suaves tendresses ; voici l’heure où il faut séparer Artémise et Poliante pour qu’ils achèvent leur éducation. Poliante est envoyé au collège de la Flèche, Artémise est confiée à sa tante, abbesse du couvent de ***. Comment ces débuts si simples, si simplement tranquilles et doux, sont-ils subitement troublés? Comment Artémise s’imagine-t-elle que Poliante l’oublie, que Poliante l’abandonne? C’est ce qu’il faut lire dans le récit de Boursault. Naïfs incidens qui amènent des scènes pathétiques : Artémise veut oublier aussi Poliante et se consacrer à Dieu. Quelle ferveur soudaine ! quelle exaltation ! quelle horreur du monde et de ses mensonges! L’abbesse y est trompée comme Artémise elle-même, jusqu’au jour où Poliante, la mort dans l’âme, vient voir sa fiancée au couvent. A la vue du jeune gentilhomme dont elle se croit séparée à jamais, la religieuse s’évanouit; et lui, quand il l’aperçoit sous ce long voile, vêtue de cette robe de bure, derrière la grille du cloître, il tombe inanimé sur les dalles du parloir. Ce n’était là qu’une première épreuve. A peine rentrée dans le monde, Artémise inspire une ardente passion à un des plus grands seigneurs de la cour qui la recherche en mariage. Ce prince, que l’auteur appelle Clidamant, ne serait-ce pas le prince Henri-Jules de Bourbon, le fils du grand Condé? Cette pensée vient naturellement à l’esprit du lecteur, quand on voit Clidamant recevoir dans son château le père et la mère d’Artémise, et donner à la jeune fille une fête si magnifique. Le château est à dix lieues de Paris; on va y représenter la nouvelle tragédie de Corneille, Othon, qui n’a encore été jouée qu’à Fontainebleau[1]. A voir cette fête splendide, ce superbe jardin, ces cascades, ces jets d’eau, ces grottes, toutes ces merveilles dont parlera Bossuet, qui donc ne penserait à Chantilly? Quoi qu’il en soit, Clidamant ou Condé, le prince ne réussit pas à se faire aimer d’Artémise. Il adresse alors sa demande au père d’Artémise, -

  1. Othon, représenté à Fontainebleau dans les derniers jours du mois de juillet 1664, ne fut donné à l’Hôtel de Bourgogne que le 5 ou le 6 novembre de la même année. C’est dans l’intervalle de ces deux dates que Boursault, chroniqueur fidèle, à ce qu’il affirme, place la fête dont il est question ici.