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au jour la même année, le Prince de Condé, qui parut en 1675, enfin une histoire espagnole en deux volumes, Ne pas croire ce qu’on voit, dont le père Niceron n’indique pas la date et qu’on ne trouve aujourd’hui que dans l’édition du xviip siècle[1]. Eh bien! de ces quatre romans, le premier en date renferme, on ne sait pourquoi, un préambule assez long, qui n’a aucun rapport avec le fond du sujet et qui est une sotte critique du Britannicus de Racine.

Artémise et Poliante, tel est le titre de ce roman. L’auteur vient d’assister à la première représentation de Britannicus, cette tragédie nouvelle de M. Racine annoncée avec tant d’enthousiasme par les amis du poète que tous ceux « qui se mêlent d’écrire pour le théâtre en étaient menacés de mort violente.» Aussi, tous les auteurs attitrés, au lieu de se réunir comme d’ordinaire sur le banc formidable, s’étaient-ils dispersés de côté et d’autre, afin de mieux dissimuler la honte de leur déroute. Qu’était-ce donc que ce banc formidable? Un banc de l’Hôtel de Bourgogne où les auteurs avaient coutume de se rassembler « pour décider souverainement des pièces de théâtre. » Ce détail que les historiens littéraires de nos jours, plus curieux que leurs aînés, ont recueilli avec soin, c’est Boursault qui nous le fournit. Banc formidable, en effet : que de jalousies assises là côte à côte ! que de haines rangées en bataille ! que de batteries d’engins meurtriers chargés jusqu’à la gueule! C’est de cette batterie que les épigrammes éclatent et que sont lancés les arrêts de mort! Or ce jour-là, le 11 décembre 1669, le banc formidable était désert, tant messieurs les auteurs avaient craint d’être frappés en pleine poitrine et de tomber morts coram populo. « Pour moi, dit Boursault, qui me suis autrefois mêlé d’écrire pour le théâtre, mais si peu que par bonheur il n’y a personne qui s’en souvienne, je ne laissais pas d’appréhender comme les autres, et dans le dessein de mourir d’une plus honnête mort que ceux qui seraient obligés de s’aller pendre, je m’étais mis dans le parterre pour avoir l’honneur de me faire étouffer par la foule. » Mais il paraît que le parterre n’était guère mieux garni que le banc formidable. Un spectacle de hasard, on dirait aujourd’hui une conférence, faisait à l’Hôtel de Bourgogne une concurrence redoutable. Certain marquis de Courboyer avait promis, je ne sais à quel propos, de fournir la justification publique de ses titres de noblesse. Or tous les marchands de la rue Saint-Denis, si exacts ordinairement aux premières représentations de l’Hôtel de Bourgogne, avaient donné cette fois la préférence au marquis. « Je me trouvai si à mon aise, ajoute Boursault, que j’étais résolu de prier M. de Corneille, que

  1. Ne pas croire ce qu’on voit, histoire espagnole, par feu M. Boursault. Paris, 1739.