Page:Revue des Deux Mondes - 1878 - tome 30.djvu/359

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

nous dit Saint-Simon, « sans que le roi, ni ses bâtards, ni les riches héritiers des deux ducs d’Angoulême, aient pu l’ignorer, et sans qu’ils en aient eu la moindre honte. »

Nous n’en sommes pas encore à ces jours désolés avec la duchesse d’Angoulême. Boursault n’a pas eu la douleur de voir sa bienveillante patronne réduite à la misère et implorant en vain la pitié du roi. Certainement, tel que nous le connaissons par sa vie et ses œuvres, s’il eût été de ce monde aux dernières années du règne de Louis XIV, il eût écrit de tous côtés en prose et en vers, il eût tourmenté les puissans, les grands seigneurs, les ministres, les altesses, le roi lui-même, il eût remué ciel et terre plutôt que de laisser la protectrice de sa jeunesse dans un tel abandon. A la date où nous sommes arrivés, de 1660 à 1680, la duchesse d’Angoulême tient encore son rang à la cour avec autant de dignité que de réserve. La dignité, la majesté même, accompagnée d’une grande douceur, voilà bien ce qui frappait en elle dès le premier abord, ce que tout le monde louait naturellement, la ville comme la cour, et le naïf Boursault comme l’altier Saint-Simon. « C’était, dit Saint-Simon, une grande femme parfaitement belle et bien faite encore quand je l’ai vue, qui avait quelque chose de doux, mais de majestueux. Elle représentait la dignité et la vertu, qui fut chez elle sans tâche et sans ride toute sa vie. » Grâce à la pension que lui faisait le roi depuis la mort du vieux duc, elle eût pu reparaître à la cour et se remarier ; elle aima mieux se confiner dans une sorte de refuge, au couvent de Sainte-Elisabeth, où elle avait loué un appartement qui convenait à son rang et à sa position de fortune. Elle n’était pas cependant tout à fait séparée de Versailles. Saint-Simon nous dit qu’elle s’y montrait peu, mais qu’elle y recevait toujours un accueil des plus honorables. « Elle venait, dit-il, une fois ou deux l’année à la cour, où sa vertu et sa conduite la faisaient bien recevoir de tout le monde, et du roi avec distinction. »

Malgré ce bon accueil et cette distinction, Saint-Simon ajoute qu’elle n’a « jamais participé à aucun des nouveaux honneurs comme la duchesse de Verneuil, sous prétexte que la bâtardise de son mari n’était pas des rois bourbons. » Le fait est que, d’après cette noble théorie, la duchesse de Verneuil avait sur la duchesse d’Angoulême un avantage décisif; la duchesse d’Angoulême n’était bâtarde que d’un Valois, la duchesse de Verneuil était bâtarde d’un Bourbon. Il y avait du reste plus d’un rapport de situation entre elles, et c’est pour cela sans doute que Saint-Simon, en parlant de la duchesse d’Angoulême, pense naturellement à la duchesse de Verneuil. Suivant la loi de nature, les deux duchesses étaient unies par les attaches d’une étroite parenté. La duchesse de Verneuil