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duc d’Angoulême, qui l’avait épousée en secondes noces, était mort six années plus tard, la laissant veuve sans enfans et oubliant de la pourvoir. La première femme du duc était une Montmorency, la fille aînée du dernier connétable. De ce mariage était né un fils, un jeune duc d’Angoulême, qui, tout fier d’être un Montmorency par sa mère et par son père un petit-fils de roi, dédaignait fort la nouvelle venue. Cette dernière en effet. Mlle Françoise de Narbonne, appartenait à la petite noblesse de province; elle était fille d’un baron de Montreuil, gentilhomme campagnard de fortune médiocre, qui avait fait admettre son fils comme page au service du vieux duc d’Angoulême. C’est ainsi que le duc, ayant eu occasion de voir la sœur de son page, en tomba éperdument amoureux et l’épousa au mois de février 1644. Il avait soixante-douze ans ; Françoise de Narbonne en avait vingt et un. On devine aisément de quel mauvais vouloir le fils du duc d’Angoulême, qui lui-même commençait à vieillir, devait être animé contre sa belle-mère. Ajoutez à cela qu’il avait épousé une La Guiche, fille du comte de La Guiche, grand-maître de l’artillerie, et que celle-ci se sentait mortifiée de voir la jeune provinciale en possession du droit de préséance dans le monde comme dans la famille. « Elle ne pouvait, dit Saint-Simon, supporter une belle-mère, et si inférieure, après laquelle il fallait passer. »

L’héritier du vieux duc, en 1650, ne s’inquiéta donc en aucune manière du sort de la duchesse; ni lui ni sa femme, quand elle devint veuve en 1653, ne songèrent à détacher une légère part de leurs richesses pour assurer une existence honorable à la personne que leur père avait aimée et qui lui avait été une compagne digne de tous les respects. La duchesse d’Angoulême eût été réduite à l’indigence si Louis XIV ne lui eût accordé une pension de vingt mille livres, et quarante ans plus tard, lorsque les malheurs de la guerre et l’épuisement de la France firent supprimer les pensions, la pauvre femme serait littéralement morte de faim, sans le dévoûment d’une vieille demoiselle qui lui était depuis longtemps attachée et qui la recueillit dans sa détresse. Cette bonne vieille demoiselle possédait un petit bien à douze ou quinze lieues de Paris. Comme la duchesse ne pouvait plus payer le couvent qu’elle habitait dans la grande ville, son humble amie l’emmena chez elle, l’hébergea, la nourrit, adoucit pour elle les amertumes des dernières années et l’isolement de l’heure suprême. Si l’on savait le nom de cette bonne vieille, quelle figure elle pourrait faire (rétrospectivement) sur les listes des prix Montyon ! et quelle heureuse chance pour l’orateur qui aurait à signaler cette charité cordiale ! C’est chez la vieille demoiselle que la duchesse d’Angoulême est morte en 1713,