Page:Revue des Deux Mondes - 1878 - tome 30.djvu/312

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Nulle part on n’atteint les causes premières; les forces physiques sont tout aussi obscures que la force vitale et tout aussi en dehors de la prise directe de l’expérience. On n’agit pas sur ces entités, mais seulement sur les conditions physiques ou chimiques qui entraînent les phénomènes. Le but de toute science de la nature, en un mot, est de fixer le déterminisme des phénomènes.

» Le principe du déterminisme domine donc l’étude des phénomènes de la vie comme celle de tous les autres phénomènes de la nature. »

Le déterminisme est-il, en réalité, une doctrine, et livre-t-il la notion synthétique et suprême de la science de la vie? Fournit-il la connaissance essentielle des-faits vitaux, résume-t-il en lui les caractères propres de tout phénomène vivant? Le déterminisme absolu et général signifie qu’en toute science il n’y a rien en dehors de la méthode expérimentale, et de ce que cette méthode révèle. Cette confiance illimitée dans l’expérimentation sied à un tel expérimentateur; il lui appartenait de faire de l’expérimentation le moyen et le but de toute connaissance, et de refuser toute clarté qui n’en émane pas. Claude Bernard était aussi possédé de cette pensée que l’un des grands obstacles au progrès de la physiologie était l’opinion que l’être vivant peut se dérober aux recherches expérimentales rigoureuses; qu’on ne saurait, vis-à-vis des phénomènes vitaux, agir avec la même certitude que pour les phénomènes physico-chimiques; que la vie intervenait et troublait fréquemment le sens et la marche des expériences. Tout cela agita de bonne heure l’esprit du maître, le révolta bien des fois; il y répondit en élevant au rang de doctrine le déterminisme physiologique.

Or le déterminisme des phénomènes est-il la seule connaissance des choses qu’il nous soit donné d’acquérir? Sans doute, le déterminisme des conditions des phénomènes vitaux est un fait absolu; mais n’y a-t-il rien en dehors des conditions des phénomènes vitaux, et ne doit-on jamais envisager ceux-ci dans leurs causes? Y a-t-il même une connaissance entière et réelle d’un phénomène vital, si l’on n’en connaît que les conditions expérimentales, et si l’on en oublie systématiquement la cause? De pareils problèmes ne se posent pas dans les sciences physiques et chimiques; ici, les conditions et les causes des phénomènes sont adéquates, toutes sont d’ordre physico-chimique : qui étudie les conditions étudie les causes. Mais l’être vivant est double, comme le dit Claude Bernard; il y a en lui les lois et les manifestations propres de la vie, et aussi les lois et les manifestations d’ordre physique. Faut-il s’attacher exclusivement à ces dernières, et négliger les premières parce qu’elles échappent à tout déterminisme physico-chimique?