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Historiquement, il est vrai, le vitalisme a été tel que Claude Bernard le représente. Archée, âme, principe vital, propriétés vitales, il a réalisé la cause vivante sous une forme ontologique. Il a méconnu « l’accord intime, l’étroite liaison des phénomènes physiques et chimiques avec les phénomènes vitaux. » Il y a là « un parallélisme parfait, une union harmonique nécessaire » dont la notion lui manque. Oui, le vitalisme reste entaché de ces erreurs, jusqu’à Bichat, qui lui-même a outré le mal. Mais la faute n’en revient-elle pas aux temps, encore plus qu’aux hommes, et surtout qu’à la doctrine? La physique et la chimie n’étaient pas nées, ou étaient dans l’enfance ; pouvait-on les appliquer avec succès à l’étude des phénomènes vitaux ? Beaucoup de médecins, même vitalistes, l’ont tenté, et ils n’ont réussi qu’à encombrer la science de vaines théories. N’est-ce pas la physique et la chimie la plus avancée que le physiologiste appelle à son aide? Dans cette impuissance d’appliquer des sciences absentes à l’analyse de la vie, quelle pensée devait inévitablement surgir en face de cette merveilleuse évolution vitale, qui traduit si éloquemment, Claude Bernard le reconnaît, une cause propre, une idée créatrice et directrice? Quelle, sinon la pensée d’un principe animateur et créateur, dégageant l’organisme du monde extérieur, le préservant contre lui, et le lui rendant par la mort, alors que le principe créateur s’éteint? Il y avait là un enchaînement fatal d’idées, une association inévitable d’erreur et de vérité.

Les sciences physico-chimiques sont venues : on connaît leur développement vigoureux; le physiologiste s’en est emparé, la vieille idée de l’opposition entre le monde vivant et le monde inorganique est tombée. Les physiologistes modernes, et celui qui les conduit, Claude Bernard, peuvent se glorifier d’avoir renversé des préjugés funestes au progrès. Faut-il pour cela répudier tout le passé? Les recherches modernes ont effectué la réforme de la doctrine de l’autonomie vitale, elles n’en ont pas fourni la négation. Claude Bernard le redit souvent, il ne faut pas confondre les causes et les conditions des phénomènes ; cette confusion, il l’appelle quelque part « la grossière erreur des matérialistes. » Dans les phénomènes vitaux, les conditions sont toutes physico-chimiques ; la cause qui plane sur ces conditions, qui les dirige, l’idée directrice est autonome, c’est-à-dire vitale. Toute la doctrine vitaliste est là.

Certainement il ne faut pas personnifier la cause vivante ; il faut l’incarner jusque dans les derniers élémens de l’organisme, jusqu’en toute cellule vivante, jusqu’en ce protoplasme, générateur et soutien de tout l’organisme sentant et vivant. Mais pour éviter une personnification ontologique, il faut se garder de rester dans un