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tous ceux qui s’intéressent aux choses de l’esprit et de la science ; il montrait à tous que la physiologie ne consiste pas tout entière en des tortures imposées à l’animal vivant, mais qu’à travers ces douleurs nécessaires et qu’elle s’attache de plus en plus à adoucir et à supprimer, elle sait pénétrer les mystères de la vie, ceux du moins qui sont accessibles et ne se dérobent pas dans les dernières extrémités des choses. Il faisait toucher à tous l’harmonie et l’enchaînement des grandes fonctions organiques ; il montrait comment on les décompose et analyse ; il faisait sentir la puissance d’investigation dont est armée la science moderne. Ainsi parvenait-il à éclairer ceux qui, étrangers à la science, n’ont sur toutes les choses de la vie animale que des notions confuses; il les intéressait à cette science inconnue, à ses progrès, communiquait à tous la foi qui l’animait, tout en gardant lui-même cette allure réservée et modeste, témoignage de toute vraie science.

L’existence de Claude Bernard s’est écoulée dans un calme apparent, cachée aux yeux de la foule, laborieuse, mais sans affectation, ni fausse rigueur. Les souffrances morales et physiques l’ont certainement traversée ; les influences malsaines du laboratoire l’ont, à un moment, sérieusement compromise ; rien n’a pu en altérer la direction et l’admirable unité. Elle n’a jamais dévié, et s’est toute renfermée dans les travaux qui la remplissaient, dans les charges de son double enseignement, dans l’autorité qui le suivait partout, à l’Académie des sciences comme à l’Académie française ; autorité douce, qu’il ne recherchait pas, qu’il semblait fuir plutôt, mais qui lui arrivait du consentement de tous, et qui donnait tant de poids à sa parole et à ses conseils. Sa sincérité était absolue ; quel grand savant peut n’être pas sincère? Aimer la science n’est-ce pas aimer la vérité? Cependant confesser celle-ci toujours et en toute simplicité n’est pas un don commun, et témoigne, même en science, de la beauté de l’âme.

La vie de Claude Bernard est donc toute en ses œuvres, toute dans l’évolution de son esprit chercheur et créateur, qui voulait toujours voir plus loin et plus haut. Que la vie d’un savant est ainsi belle dans son austère simplicité ! Elle ne connaît d’autres événemens que ceux qui proviennent du monde intérieur, du travail accompli, de la direction de la pensée, de la vue nouvelle des choses ; mais combien elle est féconde et bienfaisante, en regard de la pauvreté réelle de tant d’autres vies dépensées dans les agitations extérieures, dans les honneurs mêmes que procurent ces agitations, heureusement dirigées !