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Si Claude Bernard dut à Magendie son éducation expérimentale et la possession de moyens matériels d’étude, il ne lui emprunta pas le culte brut du fait, l’aversion pour les théories à déduire des faits expérimentaux, le dédain pour toute idée générale, pour tout ce qui touchait à une doctrine médicale ou philosophique; il ne lui emprunta pas ce défaut préconçu de réflexion qui faisait que le maître expérimentait comme au hasard, et pour voir en quelque sorte ce qui pourrait jaillir d’inattendu d’une vivisection commencée. Non, Claude Bernard sut toujours ce qu’il voulait faire et voir, quand il soumettait l’animal vivant aux sacrifices exigés par la science; ce qui ne l’empêchait pas de saisir au passage les faits imprévus, et de les juger avec une rapidité et une justesse qui étonnaient ceux qui l’assistaient. L’esprit de réflexion, de méditation persévérante à l’occasion des faits expérimentalement acquis, une sagacité patiente qui ne se lasse pas, qui multiplie les interrogations, qui n’abandonne un sujet, une idée, une théorie, qu’après en avoir étudié tous les aspects, marquèrent le génie de Claude Bernard, et en devinrent les traits dominans. C’est ainsi que la fonction glycogénique du foie, soulevée par lui en 1849, resta l’objet de ses préoccupations constantes; il ne cessa de la fortifier et de l’agrandir par de nouvelles expériences, et, presque à la veille de sa mort, il publiait les Leçons sur le diabète et la glycogénèse animale qui donnaient le fruit de cette gestation continue. Quelle différence en cela de Claude Bernard à Magendie ! L’un qui pensait sans relâche ses expériences, merveilleusement habile à les multiplier en vue d’un but défini; l’autre qui expérimentait sans pensée et sans but, qui n’établissait aucun lien d’une expérience à l’autre, oubliant la précédente en passant à une nouvelle. Et cependant un élève doit toujours à son maître quelque chose de sa physionomie scientifique. Une part du dédain que Magendie professait pour les vieilles doctrines médicales, pour la science traditionnelle des maladies, s’imprima dans l’esprit de Claude Bernard, et se traduisit par le refus persévérant de reconnaître à la médecine traditionnelle un caractère scientifique, par la qualification d’empirique qu’il lui attribue, par la prétention excessive de n’accepter comme médecine rationnelle que celle qui se fonde ou se fondera sur la physiologie expérimentale.

C’est dans le laboratoire du Collège de France que Claude Bernard prépara ses premiers travaux, ses Recherches anatomiques et physiologiques sur la corde du tympan, publiées en 1843, et sa thèse inaugurale soutenue la même année, du Suc gastrique et de son rôle dans la nutrition ; Claude Bernard demandait ainsi à la physiologie son titre de docteur en médecine. Dans ce même laboratoire,