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physiologie générale, dont ses Leçons sur les phénomènes de la vie communs aux animaux et aux végétaux sont la dernière et lumineuse expression? Il y a là une si étonnante succession d’œuvres et de découvertes que l’on est comme troublé pour en fournir la mesure, en faire saisir l’ensemble et le lien, pour montrer quel fut l’homme dont l’action créa un tel mouvement de choses et d’idées.

La vie extérieure de Claude Bernard est bien simple et courte à raconter. Secouant la poussière d’une officine de province, Claude Bernard arriva à Paris vers 1834, cherchant la lumière et l’action, mais ignorant sa voie, indécis, rêvant peut-être de succès et d’œuvres littéraires. Il avait écrit, dit-on, dans l’obscure officine qu’il quittait une tragédie bientôt et heureusement oubliée. Conduit par sa destinée, Claude Bernard s’inscrivit comme étudiant à la faculté de médecine. Suivant l’exemple des élèves laborieux, il entra dans la voie des concours, et en 1839 il obtint, sans éclat, ce premier titre envié d’interne des hôpitaux de Paris. Externe, puis interne de Magendie à l’Hôtel-Dieu, ce maître l’attacha comme aide bénévole au laboratoire du Collège de France ; il y devint bientôt préparateur attitré du cours de physiologie. Claude Bernard ne céda pas aux séductions de l’observation clinique; il était à mauvaise école sous ce rapport. Non-seulement Magendie n’avait ni le goût, ni le génie de l’observation clinique; il en professait le dédain et affectait de nier tout ce que l’observation médicale avait amassé de faits et d’explications, de conceptions justes et profondes, trop souvent altérées, il est vrai, par l’esprit de système, mais non moins réelles malgré cet alliage d’erreur. Magendie niait la médecine; il ne pouvait en inspirer le culte à son jeune élève. L’interne de l’Hôtel-Dieu s’effaçait ainsi pour faire place au préparateur du cours de physiologie.

Au Collège de France, Claude Bernard apprenait à expérimenter, à manier sûrement la matière vivante, à la faire parler, à écouter ses leçons dites en une langue confuse et tumultueuse pour qui ne sait en pénétrer le sens à travers les émouvans spectacles qu’elle évoque. Ce fut là ce que Claude Bernard dut à Magendie l’art des vivisections, la possession de la technique expérimentale propre à cet art. Cette technique était alors bien pauvre en regard des richesses qu’elle a acquises depuis, et dont une si large part est due au préparateur du cours de Magendie. Telle qu’elle était, c’était le point de départ, et il fallait en posséder la pratique et les secrets. Un laboratoire était en outre nécessaire aux travaux de ce jeune expérimentateur qui tenait en ses mains prédestinées l’avenir de la physiologie; et, à cette époque, où trouver un laboratoire d’expérimentation physiologique, sinon dans ce réduit du Collège de France, tout misérable qu’il fût?