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C’est en vain que Joseph s’efforce de détourner son attention vers l’Occident, sur « le clabaudage que le roi de Prusse ne cesse de répandre, » sur « toutes les noirceurs et faussetés qui partent du foyer de Potsdam. » Il voudrait persuader à la tsarine que ce n’est pas le padichah, mais Frédéric II qui est leur principal ennemi : « S’il pouvait évoquer l’enfer contre moi, et même contre ceux qui ont quelques liaisons d’intérêt et d’amitié avec moi, il le ferait certainement. » Il insinue parfois que ce n’est qu’après avoir repris une situation prépondérante en Allemagne, et y être devenu quelque chose de plus qu’un « fantôme d’une puissance honorifique, » qu’il pourra rendre des services réels à la Russie en Orient. Catherine n’a pas l’air de comprendre, et « ne veut pas mordre, » pour parler le langage de Joseph; elle évite même autant que possible jusqu’au nom du roi de Prusse, et dans les grandes occasions trouve quelques phrases ampoulées et banales dans le genre de celle-ci : « Les calomnies des ennemis de Votre Majesté Impériale ressemblent à la poussière qui s’élève et empêche pour un temps de voir les objets tels qu’ils sont ; mais la pluie des belles et bonnes actions de Votre Majesté Impériale abattra cette poussière et la réduira indubitablement en sable... » Elle ne tarit pas sur les belles actions et les « vertus » de Joseph; elle revient toujours avec un tendre souvenir à leur première entrevue, à cette visite que le fils de Marie-Thérèse lui fit à Mohilef (1780), sous le nom de comte de Falkenstein, nom qu’il avait l’habitude de porter dans ses voyages à l’étranger. « Le pays que M. le comte de Falkenstein vient de quitter, — lui avait-elle écrit alors dès son retour dans ses états, — est rempli de la plus haute vénération pour ses éminentes vertus; c’est par là seul qu’il ressemble aux autres pays que M. le comte a honorés de sa présence. » Pareilles flatteries reviennent à chaque page de cette correspondance introuvable. De temps en temps pourtant les objections, les atermoiemens, les négociations dilatoires, pour employer une expression devenue célèbre, dont Joseph II fait constamment usage à l’égard de la « grande idée, » finissent par irriter l’impériale enchanteresse, et par lui arracher quelques paroles de dépit. A de tels momens on sent qu’elle aurait bien envie de dire à « monsieur son frère » ce que, au rapport de M. de Goertz, elle dit un jour tout crûment à monsieur son fils : qu’il était trop borné pour les grandes choses. « Remplie de la plus haute estime et de la confiance la plus étendue envers l’empereur Joseph second, — lui écrit-elle par exemple, le 29 février 1783, — je me suis adressée à Votre Majesté Impériale ne doutant pas que comme César, il n’y aurait guère d’intervalle entre l’acceptation et l’exécution d’un projet utile, grand et digne de César. Un moment a détruit toute attente; Votre Majesté