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ne me maltraiterait plus. Mon plus grand plaisir était de nager dans la Tamise, et c’étaient à vrai dire les seules occasions que j’eusse de me laver. Je jurais comme un troupier et je n’avais jamais entendu prononcer le nom de Dieu que dans un blasphème. Je ne savais même pas ce que c’était qu’une école, et je me souviens qu’un jour, ayant poussé ma tête à travers la porte entre-bâillée d’une église, je reçus du bedeau un bon coup de canne pour ma peine. Je faisais des commissions pour gagner un morceau de pain ou de viande, et c’est ainsi que je me procurais de quoi manger. Mais si on me demande : Étiez-vous malheureux? je suis obligé de répondre que, bien que n’ayant ni chapeau, ni bas, ni souliers, j’étais (à la condition que mon père fût en voyage) aussi heureux et aussi libre qu’un oiseau. »

On comprend qu’avec de tels élèves l’éducation présente quelques difficultés et qu’on ait mis plus d’un système en pratique. Aussi les procédés de cette éducation diffèrent-ils assez sensiblement dans les six cent quarante-sept unions de paroisses qui, au point de vue de l’assistance, constituent les circonscriptions administratives de la Grande-Bretagne. Un certain nombre d’unions envoient tout simplement leurs enfans à l’école primaire du village. Ce sont généralement les plus petites ou les plus pauvres. Les autres les élèvent, suivant une distinction que je vais expliquer, dans des écoles de workhouse, dans des écoles séparées et dans des écoles de district. Les écoles de workhouse sont situées, ainsi que leur nom l’indique, dans l’intérieur du workhouse. Les enfans y sont, bien entendu, séparés des adultes et placés sous la surveillance d’un maître d’école. Mais celui-ci est lui-même sous l’autorité du maître (master) du workhouse, l’administration des deux établissemens est commune ainsi que parfois l’usage de certains bâtimens, tel que le réfectoire. Sur six cent quarante-sept paroisses ou unions de paroisses en Angleterre, il y en a plus de quatre cents où l’école est encore située dans le workhouse. Ce sont généralement les plus défectueuses, bien que leur création constitue un progrès par rapport à l’état de choses antérieur à la loi de 1834, qui a fait une règle de la séparation entre les diverses classes de pensionnaires dans les workhouses ; mais aujourd’hui on pense avec raison que le voisinage du workhouse, cet asile où, à côté de la misère, la paresse et le vice trouvent encore trop facilement un refuge, est chose fâcheuse pour les enfans, et l’on craint d’accoutumer insensiblement leur imagination à cette pensée que ces murailles abriteront un jour leur vieillesse comme elles ont abrité leur enfance. La crainte de cette contagion du workhouse a depuis un certain nombre d’années déterminé dans beaucoup d’unions la construction des écoles séparées (separate