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aussi quelque encouragement pour ses convoitises intimes sur la Bavière. Quant à l’article secret de la même convention, par lequel l’Autriche s’obligeait à unir ses armes à celles de la Russie pour le cas où le sultan voudrait se soustraire aux stipulations des traités antérieurs ou porter la guerre dans les états de l’impératrice Catherine, Joseph II espérait sûrement pouvoir toujours détourner pareilles éventualités, en pesant de toute son influence à Constantinople, et en y entravant la moindre démarche capable de créer pour lui un déplaisant casus fœderis. La perspective des « dédommagemens » stipulés pour l’Autriche par le même article secret, en prévision d’une guerre possible contre la Turquie, ne tentait en aucune façon le gouvernement de Vienne, et deux ans plus tard encore (1782) le prince Kaunitz prévenait très confidentiellement M. de Cobenzl, l’ambassadeur d’Autriche à Saint-Pétersbourg, que, si l’empereur, leur auguste maître, désirait très sincèrement l’amitié et même l’alliance de la Russie, il connaissait pourtant trop bien les intérêts de son propre empire pour favoriser les projets ambitieux que nourrissait la tsarine, projets insensés, dangereux pour l’Autriche, et propres seulement « à bouleverser toute l’Europe. »

On devine dès lors aisément le caractère de cette correspondance entre Joseph II et la grande Catherine qui dura dix ans, qui devait rester secrète pour leurs ministres respectifs, et qui ne le fut point du tout pour Kaunitz : le chancelier revit et amenda plus d’une missive de son auguste maître. La correspondance roule principalement sur la grande affaire d’Orient, et Joseph II s’y montre d’une ferveur assagie, d’une foi tempérée par le raisonnement et le doute. Tout en « hurlant avec les loups, » et en encensant « madame sa sœur » sur sa conception immense et incomparable, il ne cesse de plaider pour l’ajournement, de faire ressortir les graves difficultés, les dangers du côté de l’Europe. « Une année plus tôt ou plus tard, lui écrit-il au commencement de 1783, fait une grande différence dans les probabilités pour les succès en politique. » Catherine au contraire est tout entrain et tout assurance; elle ne voit pas d’obstacles; elle ne redoute ni la Prusse ni la France, et quant à l’empire ottoman, elle en parle comme devait parler plus tard l’empereur Nicolas à sir Hamilton Seymour : c’est un malade, un moribond a saisi présentement à chaque cri de guerre d’une terreur panique, et qui prend la naissance dans je ne sais quel verset de l’Alcoran, » Elle ne se lasse pas de créer des incidens diplomatiques toujours nouveaux à Constantinople, dans l’espoir de provoquer une rupture et d’amener ainsi le casus fœderis[1] pour l’Autriche.

  1. Elle écrit foedoris. Arneth, Briefwechsel, p. 301.