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ESSAIS ET NOTICES.
L’Idée moderne du droit en Allemagne, en Angleterre et en France, par M. Alfred Fouillée, maître de conférences à l’École normale supérieure. Paris, 1878. Hachette.


Parmi les penseurs qui se sont donné pour tâche de soumettre à l’analyse les conceptions sur lesquelles reposent les croyances morales, sociales et religieuses de l’humanité, M. Alfred Fouillée a su conquérir un rang éminent, et ce qui, à nos yeux, donne encore plus de prix à ses recherches, c’est qu’elles n’offrent pas seulement un intérêt spéculatif : elles aboutissent le plus souvent à des conclusions pratiques d’une grande portée. Cette remarque s’applique surtout à ces profondes et brillantes études sur l’Idée moderne du droit que les lecteurs de la Revue n’ont pas oubliées et que M. Fouillée vient de réunir en volume, en y ajoutant des développemens nouveaux.

Renonçant aux entités métaphysiques auxquelles faisait appel le vieux spiritualisme, M. Fouillée examine successivement les notions nouvelles que, chez les trois grands peuples de l’Europe, les écoles modernes prétendent y substituer. Tandis que l’Allemagne et l’Angleterre ramènent tout l’ordre civil et politique à un simple jeu de forces ou d’intérêts, et opposent le principe de l’inégalité aristocratique à celui de l’égalité démocratique, la noble conception des « droits de l’homme, » cette conception libératrice du monde, est née en France comme un produit spontané de l’esprit national. On constate ainsi que la manière dont chaque peuple se représente l’ordre social tient au fond même de son caractère, à ses traditions, à son histoire. Cependant chacun de ces points de vue si divers n’a-t-il pas sa part de vérité, et ne serait-il possible de les mettre d’accord, de les fondre en quelque sorte dans un système plus compréhensif ? C’est l’objet que s’est proposé M. Fouillée, et nous ne craignons pas de dire que le but a été atteint.

L’ensemble de son travail forme maintenant toute une théorie du droit et de la justice qui appelle la méditation. Le sujet qu’il avait à traiter était vaste comme la philosophie même ; chercher les principes du droit, de la liberté, de l’égalité civile et politique, n’est-ce pas un des problèmes fondamentaux de cette science? La solution nouvelle que propose M. Fouillée consiste à se représenter le droit, non comme un fait ou une réalité présente, mais comme une pure idée, comme un idéal moral et social qui se réalise peu à peu lui-même en se concevant. En effet, « toute idée conçue par nous a une action sur nous, et tend à se réaliser par cela même qu’elle est conçue; au fond, penser