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contre ni résistance ni difficulté sérieuse dans le pays. Tout ce qu’on demande, comme le disait familièrement il y a quelque temps M. le ministre de l’intérieur, c’est que cela dure, sans révolution et sans révision. C’est à peu près l’opinion dominante ; mais en même temps, pour ceux qui ne veulent pas se laisser aller à un vain optimisme, il est clair qu’il y a un peu partout une sorte de malaise et d’appréhension vague, un certain penchant à considérer ce lendemain de l’exposition comme une épreuve. On se demande ce que produira cette session parlementaire qui vient de se rouvrir, ce qui arrivera le jour où le sénat sera renouvelé et où la majorité sera décidément républicaine, dans quelles conditions va se fixer l’équilibre intérieur du pays. En d’autres termes, il y a dans l’instinct public une certaine crainte de se laisser aller trop vite à une confiance sans laquelle cependant un régime récemment fondé reste livré à de perpétuelles oscillations.

A quoi tiennent ces dispositions d’opinion qui existent souvent, même chez des hommes ou dans des classes favorables aux institutions nouvelles, et qui reparaissent naturellement dès que les questions sérieuses s’engagent ? Elles tiennent sans doute à une situation assez compliquée. C’est qu’après tout, entre les influences qui régnent aujourd’hui on ne voit pas bien celles qui auront le dernier mot, c’est que le gouvernement tout le premier ne sait pas peut-être dans quelle mesure il peut compter sur une majorité dont il est censé être l’expression, dont il devrait être le guide et qu’on se contente de lui prêter, — c’est qu’en un mot il n’y a pas encore une politique définie, coordonnée, maîtresse d’elle-même. L’opinion est souvent indécise, elle craint l’inconnu, parce qu’on ne lui offre rien de précis, parce qu’elle ne voit pas toujours jusqu’où elle devra suivre ceux qui ont la prétention de la conduire. Les républicains sérieux ne peuvent se payer d’illusions ; ils doivent sentir que là est la faiblesse secrète, que pour arriver à la fondation définitive d’un ordre régulier la première condition désormais est de se dégager de toutes les incohérences, d’avoir justement une politique précise faite pour inspirer la confiance à l’opinion rassurée et pour rallier les esprits sincères. Ils doivent comprendre que, si la république est menacée aujourd’hui, elle l’est bien moins par ses ennemis déclarés, devenus pour le moment fort impuissans, que par ceux qui se prétendent ses amis et qui sont toujours occupés à la compromettre par leurs passions exclusives ou leurs excentricités, par les questions irritantes ou inutiles qu’ils se plaisent sans cesse à réveiller. Voilà le danger ! Et pour aller droit aux faits les plus significatifs du moment, qu’on reprenne quelques-unes de ces questions qui reparaissent de temps à autre dans les polémiques ou dans les discussions parlementaires, qui sont le piège invariable des esprits emportés, toujours prêts aux campagnes équivoques.