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leurs savantes combinaisons de timbres où la clarinette « voilée et pudique » se charge de donner à ce qu’on nous chante « une transparence mystique et céleste?» Eh bien, Spontini, même alors qu’il ne s’élève plus à ces hauteurs, ne se contredit pas ; si de la Vestale vous passez à Fernand Cortez, à Olympie, vous saisirez toujours un idéal de conception ferme et soutenu. Weber et Meyerbeer, eux aussi, savent ce qu’ils veulent; M. Richard Wagner, bien qu’il ne soit pas un homme de théâtre dans le sens que nous prêtons au mot, connaît d’avance le terrain qu’il parcourt et reste fidèle à son programme; s’il étude une situation, c’est que sa théorie lui défend de l’aborder; mais la situation ne lui échappe pas. Ainsi, par exemple, il évitera ces longs quatuors coupés à l’italienne, et s’il veut peindre un épisode de catacombes, il se dira qu’il faut que la scène soit imposante, courte, et se hâte vers l’événement; quant à ce jeune Romain chantant des barcarolles vénitiennes dans sa gondole, il l’exclura d’emblée comme un personnage compromettant qui pourrait faire croire à la galerie qu’il vient là uniquement pour faciliter l’écoulement d’une romance dont le dessin rythmique est d’ailleurs charmant.

En avait-on assez parlé de cette scène du baptême ! l’effet n’a pas répondu à ce que les amis de l’auteur en attendaient, et, ni comme élévation, ni comme caractère, ne saurait se comparer à rien de ce que nous offrent en ce genre la Juive et le Prophète. Cela débute par une marche religieuse bien manœuvrée et se terminant sur un silence placé devant la pénultième note du rythme; la prière des chrétiens qui vient ensuite manque d’invention, et ce fameux morceau, qui devait porter la fortune de l’ouvrage, risquerait de sombrer, n’était un beau mouvement de Polyeucte qui remet juste à flot l’équipage. Qu’on se figure une gamme chromatique ascendante, suivie d’une progression descendante; l’inspiration vaut ce qu’elle vaut, mais il n’y a pas moins là un très habile emploi des nuances; la même phrase reprise en chœur, — toujours en harmonie plaquée, — termine ce deuxième acte. Je parlerai du ballet tout à l’heure, car pour ce qui constitue le premier tableau du troisième acte, le mieux est de ne point s’en expliquer ; la cantilène de Sévère se rattache à cette catégorie de mélodies de salon dont le Gounod de Venise et de Medjé possède à part lui une foule d’assortissemens plus avantageux les uns que les autres, et le duo entre Polyeucte et Néarque pourrait être de Carafa. Le quatrième acte s’ouvre par les célèbres stances de Corneille mises en mélopée; puis, comme si ce n’était point assez de psalmodie, commence une récitation de l’Évangile que suit un remarquable duo entre Polyeucte et Pauline, qui me semble n’être point apprécié à son mérite; j’en dirai autant du Credo du cinquième acte, large et superbe phrase dont le public ne tient pas compte à l’auteur, peut-être à cause de cette