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l’ancien empire de Byzance, et placer un de ses petits-fils sur le trône de Tsarigrad.


II.

« Vous savez, — disait l’empereur Nicolas, en 1853, lors de ses célèbres conversations avec sir Hamilton Seymour, — vous savez les rêves et les plans dans lesquels l’impératrice Catherine se complaisait; ils ont été transmis jusqu’à nos jours, mais quant à moi, je n’ai pas hérité de ces visions ou de ces intentions, si vous voulez[1]. » A distance d’une génération, le 2 novembre 1876, le fils et successeur de l’empereur Nicolas exprimait à Livadia, devant lord Loftus, ses regrets de voir « exister toujours en Angleterre un soupçon invétéré contre la politique russe et une crainte continuelle des agressions et des conquêtes russes; » et il ajoutait solennellement : Tout ce qui a été dit ou écrit sur les projets de Catherine II n’était qu’illusions et fantômes : ces projets n’ont jamais existé en réalité[2]. Entre ces deux assertions contradictoires, mais également augustes, l’esprit risquerait de demeurer perplexe à jamais, si fort heureusement un témoignage non moins auguste et cette fois irrécusable entre tous, le propre témoignage de Catherine II, ne venait trancher la question et dissiper tous les doutes. Nous possédons en effet une série de lettres autographes adressée par l’impératrice de Russie à l’empereur Joseph II, et embrassant une période de dix ans, — de 1780 jusqu’à 1790. — Dans cette correspondance, le projet grec, ou, pour parler plus exactement, le projet daco-grec est exposé et tracé de la main même de Catherine, avec toute la clarté désirable, et de manière à ne laisser la moindre place ni aux illusions ni aux fantômes[3].

  1. Dépêche de sir Hamilton Seymour (secrète et confidentielle) à lord John Russell, Saint-Pétersbourg, 23 janvier 1853.
  2. His majesty said ...he regretted to see that there still existed in England an « inveterate » suspicion of Russian policy, and a continual fear of Russian aggression and conquest... All that had been said or written about a will of Peter the great and the aims of Catherine the second were illusions and phantoms ; they never existed in reality. — Dépêche de lord Loftus au comte Derby, Yalta, 2 novembre 1876. — Le testament de Pierre le Grand est une pièce apocryphe; il en est tout autrement du projet grec de Catherine II, comme on va le voir.
  3. Joseph II und Katharina von Russland. Ihr Briefwechsel, herausgegeben von Alfred Ritter von Arneth. (Vienne, 1869), d’après les autographes conservés aux archives de l’empire. — Il n’est pas sans intérêt de remarquer que, deux ans avant la conversation de Livadia, un important recueil diplomatique, paraissant sous les auspices du chancelier de l’empire russe, exposait, d’après ces mêmes lettres de Catherine, le fameux projet grec, en l’appelant « un plan grandiose. » Voyez Recueil des traités et conventions conclus par la Russie avec les puissances étrangères, publié par ordre du ministère des affaires étrangères, par F. Martens (Saint-Pétersbourg, 1875), t. II, p-133 seq.