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fertile en expédiens, il affirmait son droit de garnison en s’appuyant sur les stipulations d’ordre européen du mois de novembre 1815, indépendantes de l’acte constitutif de la confédération germanique.

Le 16 août, de nouvelles instructions furent arrêtées en partie sous l’inspiration du comte de Goltz. Ce diplomate était plus écouté que jamais. Il était ce qu’on appelle l’homme de la situation. Il se sentait, disait-il avec contrition, personnellement atteint par la résistance imprévue que nous avions rencontrée à Berlin; il se rendait compte des embarras qui en résultaient pour notre politique intérieure; il trouvait nos prétentions sur la Belgique « légitimes en principe, » et il considérait que satisfaction devait être donnée à notre vœu de constituer entre la France et la Prusse « une alliance nécessaire et féconde ». Il rendait hommage à notre modération et nous remerciait d’avoir renoncé successivement à la Moselle et à Mayence. Le roi, après ses grandes victoires, ajoutait-il, ne se serait malheureusement jamais résigné à céder du territoire prussien, et M. de Bismarck aurait perdu sa popularité si, par la cession de Mayence, il avait porté atteinte au sentiment national; mais du moment qu’on ne leur demandait plus aucun sacrifice direct, qu’il ne s’agissait que de laisser prendre ce qui ne leur appartenait pas, tout devait convier le roi et son ministre à s’assurer une puissante alliance qui leur servirait de garantie contre la Russie, et leur offrirait la consécration des faits accomplis.

Comment suspecter ce langage et ne pas croire que M. de Goltz interprétait fidèlement la pensée prussienne? Ne savait-on pas, par les entretiens de M. Benedetti avec M. de Bismarck, que l’ambassadeur de Prusse était muni d’instructions longuement développées, qui devaient lui permettre de s’entendre avec l’empereur sur de nouvelles combinaisons? Les demandes que notre ambassadeur recevait l’ordre de formuler ne partaient pas, on le voit, de notre seule initiative. Elles reflétaient en quelque sorte le langage du représentant du cabinet de Berlin, dûment autorisé, et, comme l’a dit M. Sorel, « il aurait fallu se faire de la sincérité de M. de Bismarck la plus étrange idée, pour soupçonner qu’il n’avait en tout cela d’autre objet que d’entretenir nos illusions[1]. » Il négociait sérieusement, mais non sans arrière-pensée. Il se promettait de rompre, si le marché qu’il offrait à la Russie était agréé.

Quoi qu’il en soit, nos demandes, suivant les chances qu’elles rencontreraient, devaient parcourir trois phases successives. L’ambassadeur devait réclamer, par un traité public, la cession de Landau, de Saarlouis, de Saarbrück et du Luxembourg, et, par un traité d’alliance offensive et défensive qui resterait secret, la faculté de nous

  1. Albert Sorel. Histoire diplomatique de la guerre franco-allemande.