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cour de Vienne, pour s’assurer des conditions avantageuses, ne manquait pas de confier au roi de Prusse, à Breslau, les propositions du cardinal de Fleury. A une époque où la politique échappait au contrôle de l’opinion publique et où les secrets d’état débattus dans les boudoirs étaient livrés souvent au plus offrant, la méfiance était pour la diplomatie le premier des devoirs. Elle poussait alors les précautions jusqu’à l’extrême, surtout lorsqu’il s’agissait de conventions secrètes, stipulant des remaniemens territoriaux au détriment de tiers. Les traités étaient copiés et signés en partie double, de la main des négociateurs, et l’échange immédiat des deux exemplaires garantissait réciproquement les deux gouvernemens contre toute perfidie. M. Benedetti n’a pas hésité à reconnaître qu’il avait eu tort de ne pas prévoir l’usage que M. de Bismarck devait faire du document qu’il lui livrait. « J’aurais dû me montrer plus méfiant, a-t-il dit, mais je préfère cependant, même à l’heure qu’il est, mon rôle à celui qu’il s’est donné dans ce triste incident. »

Il en coûtait à M. Benedetti de rester sous le coup d’un refus. Il revint à la charge le lendemain, mais sans plus de succès, l’occasion était passée. « Les victoires de la Prusse, disait M. de Bismarck, étaient devenues un obstacle aux avantages qu’on aurait pu nous concéder avant la guerre. Mais il restait d’autres combinaisons auxquelles il était tout disposé à se prêter, car il lui fallait une grande alliance, celle de la France, pour se prémunir contre le mauvais vouloir des autres gouvernemens. » M. de Loë allait du reste partir pour Paris, ajoutait le ministre, avec des instructions longuement développées, pour soumettre à l’empereur les considérations qui s’opposaient à ce qu’on acceptât notre projet de convention, et M. de Goltz serait autorisé à rechercher avec nous les moyens de nous satisfaire. Interpellé au sujet de la mission « si soudainement confiée à un général commandant des troupes en campagne, » le président du conseil prétendait en avoir parlé à l’ambassadeur. Il disait en avoir en tout cas informé M. de Goltz pour qu’il eût à nous en entretenir. Il affirmait que cette mission n’avait aucun rapport avec nos pourparlers, que le roi avait uniquement à cœur d’apaiser la cour de Russie au sujet du refus qu’il opposait au congrès. Ce qu’il évitait de dire, c’est qu’il répugnait au roi Guillaume de rompre avec les traditions de sa maison pour s’unir avec la France impériale et révolutionnaire, et que son penchant autant que son intérêt le portait vers la Russie, qui, au lieu de sacrifices sur le Rhin, ne lui demandait qu’une action commune en Pologne et la main libre en Orient.

M. Benedetti le pressentait; il ne fut pas convaincu par les explications de M. de Bismarck; il insista et demanda si M. de Manteuffel