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violens pour river les destinées de la Belgique à celles de la France. Il sentait qu’on lui offrait là un présent dangereux, et qu’en l’acceptant il s’exposerait à soulever les protestations de l’Europe et à rompre à jamais l’entente avec l’Angleterre qui lui était précieuse à plus d’un titre. Mais dans les en tours du souverain, les combinaisons suggérées par M. de Bismarck ne rencontraient déjà plus les résistances d’autrefois. Les esprits les plus sagaces étaient troublés, ils s’aveuglaient sur notre situation et s’inspiraient des résolutions les plus hasardées. Il leur en coûtait de s’avouer déçus par les événemens. On s’attaquait à leur imprévoyance, on les accusait d’avoir subordonné l’intérêt français à l’intérêt italien, et, pour échapper à ces reproches, ils formulaient tardivement, « avec les illusions qui sont propres aux hommes d’état français[1], » des demandes qui n’avaient plus aucune chance d’être agréées. Au risque d’être inconséquens, en portant atteinte au principe des nationalités que notre politique se faisait gloire de soutenir en Europe, ils désiraient tout d’abord effacer les conséquences de Waterloo, et rendre à la France ses frontières de 1814, afin de donner à l’opinion publique, comme le disait le ministre d’état, « un aliment et une direction. » Cette rectification du reste n’était considérée que comme un à-compte : on n’admettait pas qu’elle pût servir de quittance pour l’avenir ; mais on ajournait la réalisation des combinaisons suggérées par le ministre prussien ; on la remettait à d’autres temps, au jour où se produiraient des faits nouveaux. On spéculait sur les oscillations nombreuses que l’Allemagne aurait à subir avant de trouver son assiette, et sur les convoitises que déjà M. de Goltz laissait entrevoir à l’égard du groupe de confédérés au sud du Mein[2]. « Nous serions des dupes, disait-on, si nous dépensions l’influence de la France pour maintenir des fantômes de souverains, et si nous comptions comme des sacrifices de la part de la Prusse des concessions qui ne lui coûteraient absolument rien. Quand nous nous serions donné beaucoup de mal pour maintenir sur leur trône de carton des préfets prussiens, nous serions bien avancés! Il faut nous réserver et nous tenir prêts pour de meilleures occasions. » Aussi, tandis qu’officiellement on se constituait le défenseur de l’intégrité des états au sud du Mein, on les réservait secrètement « comme matière à transaction. » « L’extension de la Prusse, disait une note trouvée dans les papiers de Cercey, sera une occasion toute naturelle et presque obligatoire de nous emparer de la Belgique. » C’est sous ces impressions, et dans cet ordre d’idées, bien que M. Drouyn de Lhuys fît des réserves explicites au sujet de la Belgique, que furent arrêtées et rédigées les instructions de Vichy,

  1. Circulaire de M. de Bismarck, juillet 1870.
  2. Papiers des Tuileries.