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Rien ne retenait plus notre ambassadeur au quartier général; sa mission était terminée. Il s’était conformé strictement aux instructions de son gouvernement, subordonnant les questions qui nous étaient personnelles à la défense de l’Autriche et de ses alliés. Aussi M. Drouyn de Lhuys approuvait-il ses démarches et son langage ; il reconnaissait que les clauses de la convention de Nikolsbourg étaient dans leur ensemble aussi favorables à nos intérêts qu’il était permis de l’espérer dans l’état des choses, et qu’elles reproduisaient fidèlement l’esprit et la substance de nos préliminaires. Mais il constatait dans l’acte une lacune importante; il y manquait une disposition essentielle : la faculté réservée aux états du midi de constituer une union internationale indépendante, et cet oubli lui donnait à réfléchir. Il devait quelques semaines plus tard trouver matière à de nouvelles réflexions en relevant une négligence non moins significative dans le traité de Prague: l’oubli de l’article assurant au Danemark la rétrocession des populations d’origine danoise. « Je ne puis croire, télégraphiait M. Drouyn de Lhuys à M. Benedetti, que le cabinet de Berlin veuille méconnaître un des engagemens formels consacrés dans la convention de Nikolsbourg[1]. »

Deux programmes avaient été émis à la veille de la guerre; l’un, sous la forme modeste d’une circulaire, exposait les vues et les aspirations de la Prusse; l’autre, plus solennel, s’adressait à l’Europe et traçait en quelque sorte aux futurs belligérans la limite posée à leur ambition. Toutes les prévisions de la circulaire prussienne étaient dépassées, mais le programme des Tuileries était loin d’être rempli. L’Autriche, au lieu de conserver sa grande situation en Allemagne, en était exclue, et les états secondaires, loin d’avoir conquis, suivant la lettre impériale du 11 juin, plus de force et d’importance, ou disparaissaient, ou subissaient des conditions d’existence équivalant à un complet assujettissement aux volontés de la Prusse. Il est vrai que les préliminaires coupaient l’Allemagne en deux tronçons, mais la ligne du Mein, imposée par la France, loin d’entraver l’unité, ne devait servir qu’à la précipiter. La Prusse, au lieu d’être épuisée par la lutte, comme on s’y attendait, sortait d’une courte et prodigieuse campagne avec un sentiment tout nouveau de sa force, grisée de ses triomphes, pleine de confiance dans ses hommes de guerre et dans l’armement qui lui avait valu la victoire.

Dans une pareille situation, il y avait du mérite à être modéré. Ce mérite ne manqua pas à l’homme qui dirigeait la politique prussienne. Il sut avec des habiletés infinies, tant qu’il pouvait craindre notre intervention, ménager nos susceptibilités. Il arrêta sur notre

  1. Les clauses furent rétablies dans le traité à la suite de nos réclamations.