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pas dans le Tartare : c’est dans le cœur de l’homme qu’il a sa place et sa réalité ; les supplices légendaires dont s’épouvante l’imagination des mortels doivent retrouver leurs vrais noms : c’est la superstition, l’ambition, l’amour, la passion sous toutes ses formes, c’est le crime, le remords, le désespoir, c’est la folie humaine, ouvrière infatigable de ses chimères et de ses tourmens.


II.

Les épicuriens triomphèrent sans peine dans cette première partie de leur œuvre dialectique : la croyance à la vie future selon la fable était tellement ébranlée, au moins dans l’élite des esprits, qu’elle s’écroula au premier choc. Il n’en fut pas de même, loin de là, pour l’instinct même de l’immortalité, séparé des formes odieuses ou puériles que lui avait imposées la mythologie. Les formes discréditées tombèrent, l’instinct persistait. Le difficile était précisément de l’atteindre jusque dans ses racines; c’était là le dessous réel et subsistant de toutes ces fables vaines, quelque chose comme un fond insaisissable et plus difficile à extirper de l’âme humaine. C’était sur ce point que devait se donner le plus vigoureux combat de la critique épicurienne; si elle ne réussissait pas dans ce suprême effort, tout était remis en question, et l’idée de la vie future renaissait sous des mythes nouveaux qui l’exprimaient dans leur variété mobile sans l’épuiser jamais.

On vit alors sous la ruine des croyances officielles reparaître une ancienne croyance, antérieure à tous ces dogmes, à ces rites des théologiens et des prêtres, aux inventions fabuleuses des poètes, celle que l’on retrouve à l’origine de tous les peuples, aussi bien chez les Hellènes que chez les Indiens et les sauvages, chez les Chinois comme chez les nègres, sous des formes plus ou moins grossières, constatées en même temps et par les historiens de l’antiquité et par les anthropologistes voués à l’étude de l’humanité comparée et par les savans consacrés à la recherche des origines de la société, comme M. Spencer, dans ses Principes de sociologie. Je veux parler de ce sentiment d’une vie durable après la mort, analogue à un sommeil profond, attachée pour un certain temps à ce qui reste du corps, pourvue encore d’une vague sensibilité, sorte d’immortalité souterraine qui se continuait indéfiniment jusque dans le tombeau. C’était, nous le savons maintenant d’une science bien précise grâce au livre si curieux de M. Fustel de Coulanges, c’était la croyance commune, dans les plus anciennes populations grecques et italiennes, infiniment plus vieilles que Romulus et Homère. La conception de la spiritualité n’existait alors à aucun degré : la même sépulture recevait l’âme et le corps, indivisibles, enchaînés à jamais.