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de vue par M. Martha dans son bel ouvrage sur le Poème de Lucrèce, et par M. Boissier dans quelques chapitres philosophiques autant que littéraires de son livre sur la Religion romaine, le sujet en lui-même est de ceux qui ne s’épuisent pas ; chaque interprète le renouvelle par sa manière personnelle de le sentir. À quelle occasion ce problème fut-il posé par Épicure ? contre quels adversaires fut-il résolu par lui ? quel succès obtint cette solution toute négative dans la société romaine et dans ce qui restait de la société grecque ? enfin quelle est au juste la valeur de ces argumens ? Méritent-ils de survivre à l’école qui les a produits ? Offraient-ils une consolation efficace à l’humanité ou une cause nouvelle de découragement ? Autant de questions qui se pressent en foule devant l’esprit ; il nous a paru curieux de les indiquer sans nous croire obligé de les résoudre toutes.


I.

On peut dire que le problème posé par Épicure est celui de tous qui intéresse le plus les hommes. L’acte le plus grave de la vie, n’est-ce pas la mort ? De ce phénomène qui la termine dépend toute l’existence, selon la façon dont on le considère, soit qu’on y pense sans cesse, soit qu’on s’efforce de n’y pas penser. C’est autour de cette idée que roulent les méditations des génies les plus divers, d’un Shakspeare, d’un Montaigne, d’un Pascal ; c’est à elle que se rapportent la grande poésie de tous les temps, toutes les philosophies, toutes les religions. Les dogmes et les institutions religieuses n’ont pas d’autre objet que celui-là dans la question du salut, qu’il s’agisse de la survivance des âmes, comme dans le christianisme, ou de la délivrance finale de l’être par le néant, comme dans le bouddhisme.

Il y a une école historique qui prétend, non sans de bonnes raisons à l’appui, que c’est par la religion des morts que la religion a commencé, au moins chez les Aryas, ceux de l’Orient comme ceux de l’Occident. On assure qu’avant de concevoir ou d’adorer Indra ou Zeus l’homme adora les morts, qu’il eut peur d’eux, qu’il leur adressa des prières ; il semble bien que ce soit par là, dans cette race d’hommes, que le sentiment religieux se soit éveillé ou du moins ranimé. « C’est peut-être, nous dit M. Fustel de Coulanges, à la vue de la mort que l’homme a eu pour la première fois l’idée du surnaturel et qu’il a voulu espérer au-delà de ce qu’il voyait. La mort fut le premier mystère ; elle mit l’homme sur la voie des autres mystères. Elle éleva sa pensée du visible à l’invisible, du passager à l’éternel, de l’humain au divin. » Voilà pour les religions.