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classiques. « Les révolutions suspendues sur l’Orient de l’Europe, dit quelque part M. Villemain, conduiront à la plus grande œuvre que puisse se proposer l’esprit moderne, à la renaissance de ces belles contrées, de ces riches cultures, qui du golfe de Clazomène au mont Olympe d’Asie, et des sept villes de l’Apôtre aux murs d’Antioche et de Nicomédie, formaient, sous le nom de province d’Asie, un si fertile empire. Les ruines désertes et les pierres brisées des inscriptions nous apprennent ce que cette terre admirable pourrait redevenir, non plus seulement sous la domination active d’une race d’Europe, mais sous la puissance électrique des arts nouveaux et de la science moderne. » C’était, ajoute M. Villemain, le rêve de Fourier, l’illustre secrétaire de l’Académie des sciences. « La Syrie, disait-il, l’Ionie, la Cilicie, la Troade ! la tête tourne de songer ce que deviendrait ce pays, travaillé par nos machines, et sous les eaux et les feux dont nous disposons. Il y aurait là pour nous à volonté, avec les produits de nos plus belles contrées méridionales, toutes les richesses des tropiques. L’Asie-Mineure est une autre Amérique à la porte de l’Europe. »

Ce rêve n’a plus rien de chimérique aujourd’hui. Un réseau de voies ferrées qui, rattachant la Turquie d’Asie à l’Europe d’une part et de l’autre à l’Inde anglaise, en ferait un anneau de la chaîne du commerce oriental, la forcerait en quelque sorte à prendre une part active dans les évolutions économiques du monde moderne. Ce n’est pas la fertilité qui manque au sol, ce ne sont pas les ressources naturelles qui font défaut, mais les énergies dormantes de la population attendent, pour se réveiller, une vigoureuse impulsion venant du dehors : il faut qu’elles soient entraînées de force dans l’engrenage de la civilisation.

Un homme qui par sa position est à même d’apprécier la portée d’une pareille entreprise et de juger des moyens d’exécution qu’elle réclame, M. W.-P. Andrew, président d’une des grandes compagnies qui exploitent les chemins de fer anglo-indiens, avait dès 1863, à la demande de Musurus-Pacha, fait le devis d’une ligne qui devait relier Belgrade à Bassora, en passant par Constantinople, franchissant ainsi une distance d’environ 3,000 kilomètres; il pensait que les frais d’établissement de cette route ne dépasseraient pas en moyenne 10,000 livres sterling par mille anglais (150,000 francs par kilomètre), en la construisant avec une voie simple et en ménageant le terrain et disposant les travaux d’art pour la pose ultérieure d’une seconde voie. Plus récemment (en 1872), un ingénieur autrichien, M. Pressel, avait élaboré un projet détaillé d’un réseau de chemins de fer qui devait sillonner toute la Turquie d’Asie, et qui comportait une longueur totale d’environ 5,000 kilomètres de rails; les frais d’établissement devaient être d’environ 96,000 francs par kilomètre pour une voie simple, avec un écartement de 1m, 10, et de 225,000 francs, avec un écartement de 1m, 44. En