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en annulation de mariage pour motif d’infidélité de l’un des deux conjoints, étaient jusqu’ici exclusivement réservées aux juges d’église[1]. Les intérêts les plus chers de la famille et les droits les plus sacrés de la vie domestique étaient ainsi abandonnés à une justice qui, en dépit du mariage des prêtres, présentait aussi peu de compétence morale que de garanties juridiques. La procédure près de ces cours ecclésiastiques était si lente et si dispendieuse que pratiquement le divorce n’a jamais été accessible qu’aux riches.

Dans un pays qui, pour les chrétiens orthodoxes du moins, ne connaît d’autre mariage que l’union bénie par le prêtre, il est malaisé d’exclure entièrement le clergé du règlement des causes matrimoniales. Le mariage, comme sacrement, ne saurait être cassé ou annulé que par l’autorité qui l’a consacré; la loi civile ne saurait délier un nœud qu’elle n’a point noué. Aussi n’est-il pas question d’ôter à la puissance ecclésiastique le droit de prononcer en dernier ressort l’annulation ou la validité du lien conjugal. Tout ce que le gouvernement a pu se proposer, c’est d’enlever aux tribunaux de l’église non-seulement l’instruction, mais la connaissance de ces causes scabreuses dont les détails domestiques et intimes sont d’ordinaire difficiles à aborder dans des débats publics devant un tribunal de prêtres ou de moines. D’après les dispositions du projet de la commission, l’église n’interviendrait dans ces procès qu’à leur début pour essayer de les arrêter, et à leur conclusion pour confirmer la sentence rendue par d’autres juges. Le clergé resterait chargé d’exhorter à la concorde les époux aspirant au divorce; mais ce serait aux tribunaux laïques d’apprécier la validité des motifs invoqués par les époux. L’autorité ecclésiastique conserverait ainsi le droit de prononcer le divorce ou la nullité du mariage ; mais elle le ferait désormais en se fondant sur le jugement des tribunaux ordinaires, elle n’aurait qu’à accepter le verdict des juges laïques et à en consacrer la décision. De cette façon, on a cherché à transférer le jugement des causes matrimoniales aux tribunaux civils, tout en laissant à l’église la sentence sacramentelle qu’elle seule peut rendre.

Un tel partage d’attributions est-il facile? Dans un état où l’église serait moins docile ou plus remuante, elle ne laisserait pas sans

  1. L’église orientale, on le sait, admet, d’après l’Évangile (saint Matthieu, v. 32), que l’adultère de l’un des deux époux autorise l’autre à s’en séparer. Dans ce cas, les canons de l’église permettent à l’époux injurié de contracter une nouvelle union, ils interdisent les secondes noces à l’homme ou à la femme qui n’a pas tenu les promesses des premières. Cette jurisprudence ecclésiastique a le défaut de provoquer des procès scandaleux et de prêter parfois entre des époux désireux de se séparer à de frauduleux compromis et de honteux marchés. (Voyez la Revue du 1er mars 1874).