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c’est là par malheur une difficile entreprise. Pour relever les fonctions et le niveau des juges, la commission avait proposé de leur allouer un traitement, ce qui enlèverait à cette justice populaire un de ses principaux avantages, le bon marché, et pour que cette nouvelle charge ne pesât point trop lourdement sur les communes, la commission proposait de diminuer le nombre de ces tribunaux et d’en étendre la circonscription, ce qui risquerait de rendre les fonctions de juge trop absorbantes et les portes du tribunal moins accessibles. L’expérience semble avoir montré qu’il est malaisé de remédier législativement aux défauts du voloslnoï soud. La justice villageoise est une de ces institutions qu’il est plus facile d’abroger que de modifier. Aussi ces tribunaux de volost, si souvent et si justement critiqués, ont-ils survécu sans changement aux enquêtes gouvernementales et aux plans de réforme de la presse. À ce point de vue, les examens des commissions officielles sont pratiquement demeurés stériles. Pour le redressement des abus de cette justice rurale, il faut peut-être moins compter sur la loi et le gouvernement que sur le temps, sur la diffusion de l’instruction, sur l’élévation du niveau moral du moujik.

Des questions posées par la commission d’enquête et depuis discutées dans la presse, une seule mérite notre attention. Convient-il de placer au-dessus des tribunaux de bailliage un tribunal d’appel, et ce tribunal, comment pourrait-il être composé? D’après l’acte d’émancipation, toutes les décisions des juges de volost, au criminel comme au civil, sont définitives. Aucune autorité administrative ou judiciaire ne peut ni les abroger ni les modifier. Leurs sentences ne peuvent être attaquées et annulées que si le tribunal a dépassé les limites de sa compétence, ou bien s’il a violé ou négligé le peu de formalités prescrites par la loi, telles que la citation des parties ou l’audition des témoins. Ainsi il n’y a point pour la justice des paysans de cour d’appel, mais simplement une cour de cassation. Le soin de contrôler la légalité des décisions des tribunaux de volost avait été en 1866 confié à l’assemblée des arbitres de paix (mirovye posredniki), magistrats créés spécialement par l’acte d’émancipation pour régler les litiges entre les paysans et les propriétaires, et supprimés dans les dernières années. Le nombre des pourvois près des arbitres de paix n’était que de 7 pour 100 en matière criminelle et de 4 pour 100 dans les affaires civiles, ce qui semble montrer que la plupart des juges commettaient peu d’abus de pouvoirs ou que la majorité des justiciables acceptaient sans répugnance leurs décisions. Depuis la suppression des arbitres de paix, les fonctions de cour de cassation vis-à-vis des tribunaux de volost ont été transférées non à une cour de justice,