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soient l’objet de vives critiques et d’attaques passionnées. On leur reproche l’ignorance des juges et l’influence excessive de l’ancien ou du greffier, on les accuse tantôt de vénalité, tantôt de partialité. Il est clair en effet que de pareils tribunaux ne sauraient être exempts de tout blâme; mais pour un œil impartial, la plupart des défauts tant reprochés aux juges de volost découlent des défauts mêmes du paysan, et s’atténueront ou disparaîtront avec le progrès de l’instruction et des mœurs. Toutes ces imperfections n’enlèvent point à cette humble justice l’avantage d’être la plus rapide, la moins chère et la mieux comprise du moujik. Si parmi les propriétaires des campagnes ou les écrivains des villes beaucoup en réclament la suppression, la plupart des paysans qui s’en plaignent en demandent eux-mêmes le maintien. Sur 400 témoignages recueillis par la commission d’enquête, 70 seulement s’étaient prononcés pour l’abrogation de cette justice corporative. Il est bon du reste de remarquer qu’en plus d’un cas les paysans qui n’ont pas confiance dans l’intégrité ou dans les lumières des tribunaux de volost restent libres de se soustraire à leur juridiction. De même qu’ils peuvent d’un commun accord soumettre aux tribunaux de bailliage des affaires dévolues par la loi aux tribunaux ordinaires, les plaideurs sont maîtres de confier aux juges de paix des affaires qui rentrent dans la compétence légale des juges de volost. Un assez grand nombre de paysans usent de cette dernière faculté. En outre, les causes civiles, quelle que soit la valeur de l’objet en litige, peuvent toujours, du consentement des deux parties, être abandonnées à la décision d’un ou plusieurs arbitres désignés par les intéressés. Dans ce cas, la loi donne sa sanction au jugement de ce tribunal arbitral (treteiski soud) et en déclare les arrêts irréformables. L’on voit que les paysans ont le choix entre divers modes de justice, et qu’en matière civile au moins la juridiction des tribunaux de volost n’est guère que facultative, ce qui diminue singulièrement l’importance des abus signalés dans cette justice patriarcale.

Quand le droit coutumier sur lequel repose toute la vie des campagnes n’exigerait point un organe spécial et légalement autorisé, les tribunaux des paysans n’en resteraient pas moins le complément naturel du mir et de la propriété collective des terres. Tant que le mir retiendra ses formes antiques, tant que la commune rurale conservera son cadre corporatif, il sera malaisé ou inopportun de supprimer les tribunaux de bailliage, ou de les dépouiller de leur forme corporative. Aussi, après avoir étudié cette justice spéciale dans une vingtaine de provinces, la commission d’enquête instituée par le gouvernement s’est-elle uniquement préoccupée des moyens d’en améliorer le fonctionnement. Dans l’état actuel des mœurs,